📹 365 secondes pour une nouvelle année et la fin des codes Free Wifi
Les vidéos tournées pendant le confinement suintent-elles d'un traumatisme commun ? La fin de Free Wifi est-elle le signe de la disparition une référence culturelle commune ?
arobase, c’est chaque semaine une rencontre avec celles et ceux qui font internet (artistes, vidéastes, chercheuses et chercheurs, journalistes) ; des pépites, souvenirs de temps passé sur internet ou documents originaux ; des rendez-vous de choses à voir et à écouter.
📹 Rencontre avec Roger Odin
C’est une leçon de patience puisque le résultat final n’est obtenu qu’à la fin de l’année. Depuis plusieurs années, Pierre Lapin, créateur multimédia, propose une vidéo composée de 365 secondes, soit une par jour. Résumant son année, elle compile des moments des vie, des moments entre ami·es, des captures d’écran…
Pierre Lapin a essaimé et n’est pas le seul à faire de telles vidéos. En cherchant un peu, on trouve de nombreuses vidéos publiées le 1er janvier, produites notamment à l’aide de l’appli 1 Second Everyday.
Les différentes vidéos que j’ai pu voir – certaines privées, d’autres publics comme celles de Cloclofaitdesvidéos, de Mercicitron, etc. (une playlist en répertorie plusieurs) – montrent certaines images communes. L’année 2020 fut particulière, c’est un euphémisme. Et pas seulement parce qu’elle compte 366 jours.
À partir d’une minute 12, quelle que soit la vidéo, on a l’impression d’entrer dans une boucle, avec de nombreux écrans filmés, des interventions présidentielles, des canapés, des parties de jeux vidéos… Rien de surprenant ; cependant, au delà de l’expérience partagée, le traumatisme commun affleure.
J’ai trouvé un écho à ces vidéos dans le film réalisé par Roger Odin, Méfiez-vous de la crypte. Ce chercheur en sciences de la communication a filmé sa vie pendant la première période de confinement. Il a ensuite monté ces quelques images, en les analysant a posteriori, dans un exercice de recherche-création.
« Mon souci est de transformer cette accumulation en un discours susceptible de faire passer des idées (au moins des interrogations) ; le montage marque le passage à une position méta par rapport à ce qui a été tourné ; il marque une prise de distance, une volonté de réflexion, un retour sur le vécu et permet aussi une théorisation de la situation », m’explique Roger par mail.
« Lorsque j’ai visionné ces vidéos tournées pendant le confinement, je les ai trouvées bizarres », expliquait le chercheur, lors de la présentation de son film à l’occasion du colloque Pandemix.mob. « Ce film parle du confinement, à mon insu. »
Alors qu’il pensait filmer des moments familiaux devant la télé ou de simples natures mortes, il réalise qu’il filme l’enfermement. On le voit également se raser face à la caméra : « Je me filme comme si j’avais besoin d’attester de ce que je fais, ou plutôt, que je fais quelque chose, malgré le confinement », commente-il.
« Je me suis rendu compte que le confinement m'avait poussé à me filmer, ce que je ne fais jamais… D'où le désir de savoir pourquoi ? pas seulement par narcissisme c'est certain ; pour exister, pour témoigner, pour me voir entrain de faire (c'est rassurant), pour archiver les traces que cette période imprime sur le visage », précise-t-il, par mail.
Le traumatisme de la période de confinement suinterait de la production de vidéos de Roger Odin. En conclusion de son montage, le chercheur cite les psychanalystes Nicolas Abraham et Maria Torok, et leur concept de « crypte » :
« Il arrive que certaines expériences (traumatiques) restent en souffrance de symbolisation (d’assimilation psychique). Elles se trouvent incorporées, et demeurent actives, mais elles agissent le sujet à son insu, à partir d’une vacuole psychique comparable à un caisson séparé, ou à une crypte. »
On peut imaginer que cette période de confinement suinte de toutes nos images de l’époque. Peut-être faut-il se retourner sur nos productions et y chercher des traces, remonter nos vidéos et photos pour mieux comprendre les traumatismes qui s’en échappent malgré nous.
Pépite
Chaque semaine, je vous propose des pépites, souvenirs de temps passé sur internet ou documents originaux.
Le 14 novembre 2009, une camarade envoie un mail désespéré à toute la classe : « Est-ce que l'un d'entre vous aurait un abonnement Free et encore mieux, des codes pour le réseau Free Wifi. (…) Nous sommes en panne d'Internet et c'est assez problématique pour bosser. » Dans mon historique WhatsApp, je retrouve plusieurs demandes, également.
Dans les moments de disette numérique, le réseau Free Wifi était souvent le dernier recours, mais nécessitait les fameux codes… Qu’il fallait donc quémander d’une manière ou d’une autre si on n’était pas abonné chez Free.
Ce rituel devrait cependant bientôt s’arrêter. « Avec l’explosion de la 4G, le besoin est moindre », expliquait, par mail, Xavier Niel à un internaute cet été, dans un échange publié la semaine dernière.
Free Wifi, et ses fameux codes, étaient devenus sources de nombreux contenus en ligne, que ce soit des tweets au premier degré, des blagues, des mèmes ou un levier pour gagner quelques visiteur·ses.
Sans trop chercher, on tombe ainsi de nombreux sites proposant des codes Free Wifi, sous différents formats. Sur Youtube, on voit de nombreuses vidéos qui durent plusieurs secondes proposer un seul compte sous forme d’animation. Ces vidéos sont réservées aux adultes connectés, ne me demandez pas pourquoi.
On trouve des comptes Youtube d’enfants avec 34 abonné·es partager des codes pour gratter des abonnements… Les vidéos sont beaucoup vues, mais les compteurs d’abonné·es restent à un très faible niveau… Sont-ces des codes trouvés ailleurs ? Ceux de leurs parents ?
L’internet mobile sonne donc la fin d’une référence culturelle partagée par de nombreux internautes français… Le partage Wifi n’est cependant pas complètement mort et conserve certains avantages face aux réseaux mobiles, notamment en zone blanche.
À lire
Dans son numéro de novembre-décembre, la revue Topo revient sur une pratique souhaitée comme la moins visible possible : la publicité pour l’alcool sur Internet, à destination notamment des plus jeunes. Normalement, celle-ci est encadrée par la loi Evin qui impose notamment une mention sur les dangers de l’alcool, l’apparition de bouteilles fermées exclusivement et une mention explicite en cas de partenariat rémunéré.
Tous les moyens sont bons néanmoins pour attirer de nouveaux publics et maintenir une image festive et inoffensive à l’alcool. Les jeux à boire pululent sur les app stores, les concours photos se multiplient sur les réseaux sociaux… La revue aborde également les traces laissées sur internet ainsi que le succès de Say so, grâce à TikTok.
Les ados trinquent, Éric Coder et Marion Mousse, Topo n°26, novembre-décembre 2020
Le Web d’@vant, c’est une compilation de plein de moments qui font le web que certain·es ont connu. Geocities, les gifs animés, les livres d’or ou encore les communautés de fan sont évoqués. Le livre de Morgane Tual propose ainsi un retour en arrière à picorer ou une découverte archéologiques des premiers moments du web.
Est mentionné notamment dans le livre un grand moment de la télévision française, en 1996, lorsque Thierry Lhermitte a présenté internet en direct à un Jean-Luc Delarue un peu perdu. Thierry Lhermitte avait également réalisé un CR-Rom expliquant internet, dont les vidéos ont été récemment mises en ligne.
On parle de nous
Xavier de La Porte, producteur et animateur du Code a changé, super podcast qu’on vous a déjà recommandé, a déclaré que c’était « toujours un plaisir de lire arobase ». Merci à lui !
Faites comme lui : partagez arobase à vos proches, vos abonné·es et plus loin encore. Et tous mes vœux de réussite pour l’année qui commence !