🎨 Les mèmes de Marion Balac et un avis de recherche
L'artiste Marion Balac nourrit son travail des mèmes partagés en ligne. Mavis Beacon a appris à de nombreux·ses américain·es à taper au clavier, une artiste essaie de retrouver sa trace.
🎨 Rencontre avec Marion Balac
Il existe une comédie musicale consacrée à Mark Zuckerberg, et il vous est possible de la regarder dès maintenant. Réalisée par Marion Balac et Carlos Carbonell, Mark propose de découvrir les meilleurs moments de la vie dystopique du créateur de Facebook, modélisé sous la forme d’un simili-Schtroumpf, mis en chansons : après une campagne électorale, il devient président des États-Unis (entre autres), se confronte à une intelligence artificielle puis à la singularité.
La vidéo se nourrit des nombreuses apparences de Mark Zuckerberg et de la figure qu’il est devenue dans l’imagerie populaire. Son manque d’humanité apparent, ses projets parfois étranges… « Mark Zuckerberg a longtemps essayé de créer une mythologie autour de lui », analyse Marion Balac, jointe récemment par Zoom (mais sans image, donc ça aurait aussi bien pu être un appel téléphonique).
La vidéo s’inspire entre autres de la réalisation d’un double en 3D de son chien ou de la réalisation d’une « intelligence artificielle » dont la voix est celle de Morgan Freeman. « On a voulu sortir de l’essai vidéo, utiliser la forme de la comédie musicale et tirer vers la fiction pour être dans une exagération de cette figure ultra-autoritaire et parfois grotesque », détaille l’artiste.
Le travail de Marion Balac se nourrit d’internet et de ce qui est produit sur le réseau, quitte à pousser la blague au maximum. Empaquetées dans des boîtes de patisserie, les couronnes bleues et vertes de Babycakes sont constituées de pastilles de Tide Pod.
Ces pastilles de lessives étaient en effet, comme le racontait Titiou Lecoq en 2018, devenues un objet de convoitise, et nombreux déclaraient leur envie de consommer ces objets aux couleurs vives dans des blagues récurrentes. « Le résultat est très plastique, très esthétisant et s'inspire des aspics, ces mets pris dans la gélatine. »
Ces aspics de lessives partagent avec une autre œuvre une envie de matérialiser internet et ses productions. Dans une autre œuvre, Marion a concrétisé les mèmes populaires fin 2017-début 2018, de l’agent du FBI censé veiller sur chacun de nous à l’hommage funèbre de Renard Matthews. « Il y a dans ces mèmes un symbolisme qui se perd avec le temps, comme dans les natures mortes où les symboles sont à déchiffrer en fonction de l’époque », poursuit l’artiste.
Ce sont donc des natures mortes modernes qu’a composées l’artiste, clins d’œils à ces mèmes. Mais « certains contenus deviennent quasi-incompréhensibles au bout d'un moment », rappelle Marion Balac, le confirmant avec le titre de cette œuvre, Why do memes die so fast.
Ce titre s’est percuté avec une nostalgie de certain·es pour les mèmes d’il y a quelques années, entretenue notamment par le compte Twitter OldMemeArchive, explorée par Know Your Meme.
« Je ne suis pas nostalgique de cette époque, tranche Marion Balac. Je trouve les mèmes d’aujourd’hui plus intéressants, plus politiques ou plus bizarres, avec plusieurs niveaux de sens… Ces constructions collectives, qui mutent de semaine en semaine, sont aujourd'hui beaucoup plus intéressantes selon moi que les dessins de presse. »
C’est notamment le cas de l’agent du FBI bienveillant qui nous surveille mais s’inquiète de nous, qui a aussi nourri une œuvre et qui est, selon elle, un exemple de mème typique de la génération actuelle : « On est conscient qu’on est dans une situation problématique, on en parle, on le remet en question et, éventuellement, on peut en rire. »
Pépites
Chaque semaine, je vous propose des pépites, souvenirs de temps passé sur internet ou documents originaux.
Connaissez-vous Mavis Beacon ? Cette femme noire a appris à de nombreux américain-es à taper au clavier dans Mavis Beacon Teaches Typing, une suite logicielle apparue en 1987.
La présence d’une femme noire comme égérie d’un logiciel a posé quelques problèmes. « Nous avons constaté des réticences de certains vendeurs à présenter le produit parce qu’il y avait une femme noire sur la boîte. Les gens ne pensaient pas que ça pourrait se vendre », se souvenait un des créateurs du programme, dans un article du New York Times paru en 1998. Ils se sont trompés : la série logicielle est toujours un succès après une trentaine d’années, et plus de six millions d’exemplaires du jeu se sont vendus.
Mavis Beacon, qui pose fièrement sur l’emballage depuis les débuts et prend de plus en plus de place dans le jeu au fur et à mesure des éditions, est un personnage fictif. Elle est incarnée par Renée L’Esperance, une femme d’origine haïtienne rencontrée par un responsable de l’entreprise où a été créé le jeu, au comptoir d’un magasin à Beverly Hills, en Californie.
Elle a reçu 500 dollars pour une journée à faire des photos. Photos qui depuis ne cessent d’être retouchées pour ajuster sa coiffure et ses habits à la mode du moment. Que devient Mavis Beacon après toutes ces années ? C’est la question que se pose l’artiste Jazmin Jones, une femme noire également, dans son travail Seeking Mavis Beacon, décliné sur un site web.
« L'une des femmes noires les plus influentes dans le domaine de la technologie est un produit de notre imagination collective. Mavis Beacon a été inventée par le cofondateur de Myspace pour vendre le logiciel de dactylographie le plus populaire au monde, mais la véritable femme dont elle s'inspirait a disparu en 1995. »
Le site créé par Jazmin Jones se présente comme un appel à témoin, à la recherche de Mavis Beacon, ou de Renée L’Esperance et se double d’un film pour explorer la vie fictionnelle ou réelle de ces deux personnes.
« Seeking Mavis Beacon pose des questions critiques concernant l'anthropomorphisation et la consommation de corps marginalisés dans l'industrie technologique, tout en réimaginant l'héritage d'une figure historique disparue. »
Alors, si vous avez des renseignements concernant Mavis Beacon, ou Renée L’Esperance, n’hésitez pas à contacter la boîte vocale mise en place par Jazmin Jones et ses co-investigatrices au +1(516) 531-7337, ou grâce à leur compte Instagram.
À suivre
Alors que les mesures sanitaires ont à nouveau obligé les galeries à fermer leurs portes, la galerie 22,48 m2 propose chaque jour une œuvre des artistes qu’elle préfère, dans une newsletter nommée CLICK HERE.
Chaque soir, dans votre boîte aux lettres, un artiste et une oeuvre, des Roulades de Julien Prévieux à un mix débat / techno composé avec l’aide de l’internaute par le groupe Salut c’est cool.
Un dernier pour la route…
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