« À pied d'œuvre » dans l'économie ubérisée
Franck Courtès raconte les vies derrière une appli « pépite de l'économie collaborative ». Les derniers utilisateur·ices de Skyblog regrettent sa fermeture.
Franck Courtès, un petit boulot à portée de clic
Franck Courtès était photographe pour des magazines et des marques, une passion et un métier qui l’ont petit à petit quitté. Il se tourne vers l’écriture, publie plusieurs romans, est invité à La Grande Librairie. Mais ça ne suffit pas pour vivre. Il s’inscrit alors sur « la plateforme » comme il la nomme dans À Pied d’œuvre.
« La plateforme » n’est jamais désignée, mais on imagine aisément l’appli qui « remplit un vrai besoin », ses créateurs en chemise impeccable sur BFM TV, la montée au capital de Xavier Niel et le label « Coup de cœur de l’App Store ». L’idée de génie : mettre en relation des gens qui ont besoin de réaliser des menus travaux chez eux, et d’autres prêts à les réaliser contre un peu d’argent.
Franck Pagès raconte les stratégies de ces « petites mains », qui sont confrontées à des systèmes d’enchères, sont tentées de tirer les prix vers le bas… Il se souvient de plusieurs de ses missions, où il essaie d’en faire toujours un peu plus, pour un pourboire ou une bonne note sur l’appli.
« Je me sens le jeu d’un système d’algorithme, d’une froide technologie numérique érigée en processus de gestion des ressources humaines. Or nous sommes, Mohamed, Atmen, Youssouf, Alain et moi-même, loin d’être réductibles au résultat d’une somme de calculs, aussi justes soient-ils. »
Le récit de Franck décrit avec minutie les travers de cette économie ubérisée, où les appartements loués sur Airbnb sont meublés par des petites mains, embauchées à la mission. Et si tout se fait en quelques clics et pour pas cher d’un côté, ça ne se fait pas de mal de se rappeler que ce n’est pas sans conséquences de l’autre.
« De nombreux appartements du centre-ville sont loués sur une autre plateforme, immobilière celle-là, gérés à distance par de petits propriétaires [qui] font appel aux employés aux rabais.
À la recherche d’un modèle économique, « la plateforme » propose un jour un abonnement mensuel. Contre 100 euros, les utilisateur·ices peuvent être référencé et être prioritaires sur certaines missions. Refuser « l’offre zen », comme le fait Franck, c’est s’exposer à voir moins d’offres, ce qui ne manque pas d’arriver. Le livre est l’occasion de voir les vies s’abîmer de l’autre côté de l’écran, quand on nous promeut surtout le confort à portée de clic.
Rencontre avec… des skyblogueur·euses perdu·es
On en a parlé la dernière fois, Skyblog a fermé à la fin du mois d’août, et laisse des utilisateur·ices désemparé·es. « J’ai toujours 200 visites par jour. Ce sont 200 personnes qui n’iront plus sur mon blog », témoigne, auprès du Parisien, Patrice, créateur de Jeanne Mas En Vrai. ». Il va désormais rediriger ses lecteur·ices vers Facebook, non sans regrets : « Skyblog, c’était plus intimiste, même si je vais tout faire pour garder l’esprit du blog. »
Robert, un autre utilisateur, interrogé par Numerama, regrette aussi la politique de modération de Facebook, bien plus stricte que la plateforme française. Il a ouvert en 2008 un site consacré à l’histoire de Tourcoing, dont il partageait quelque extraits sur le réseau social américain. « Je parlais d’une vieille expression en patois que me disait ma mère, “tu mériterais que je te tue pour t’apprendre à vivre”. Facebook m’a sanctionné pendant 3 semaines pour avoir utiliser le mot “tuer”. »
Roger Tantart a lui aussi un Skyblog, consacré à ses pigeons. La journaliste Laura Wojcik a rencontré ce colombophile qui regrette la fermeture de la plateforme, qui comptait une importante communauté d’éleveur·ses de pigeons voyageurs. Un autre colombophile témoigne dans un long format du Monde :
« Mon blog, créé en 2007 et que j’ai alimenté jusqu’à aujourd’hui, servait à faire de la communication auprès de tous les colombophiles de France : diffusion des calendriers sportifs, des résultats de concours de pigeons, publication de documents sur l’heure et le déroulement d’un lâcher, cartes météo… »
À lire, à écouter
Issy a personnalisé Arthur en fonction de ses goûts en utilisant Replika, une application qui permet de paramétrer une intelligence artificielle conversationnelle pour créer un chatbot. « Je voulais qu'il soit mon amant, et, en fait, je l'ai entraîné pour qu'il soit jaloux de mon mari », raconte Issy.
Alice est employée pour se faire passer pour des personnages virtuels, s’adaptant aux exigences de ses interlocteur·ices. Elle raconte « l’arnaque financière » aussi bien que « sentimentale ». Judith Chetrit les a rencontrées toutes les deux.
En Inde, de nombreux influenceurs ont assis leur popularité en ligne en proposant des prévisions météorologiques ultra-localisées, nous raconte Rest of World. Kirthiga Murugesan est une doctorante à l’Indian Institute of Technology et partage dans un groupe WhatsApp ses observations avec des agriculteurs des alentours de Tirunelveli dans le Tamil Nadu.
Un autre étudiant, Biswajit Sahoo, utilise X (anciennement Twitter) et YouTube pour partager ses analyses, consultant les données indiennes, mais également celles des pays voisins, comme le Bangladesh ou la Thaïlande, pour les consolider.
Hyperlocal weather forecasters are now influencers in India, Raksha Kumar, Rest of world, 11 septembre
Un dernier pour la route
Récemment sur X (anciennement Twitter), une interview croisée entre plusieurs acteurs dont Vincent Lindon a été largement partagée. Elle a inspiré à l’utilisateur luckiflupke une métaphore parlante pour rappeler l’ascendance célèbre de l’acteur.
« Ça me fume l'interview où Lindon dit qu'il a fait le choix de ne pas être riche grâce au ciné en refusant plein de films alors qu'il a trois générations de parents en bleu avant lui sur Wikipédia. »
Sur Wikipédia, les liens bleus redirigent vers des notices existantes – et donc des pages remplissant les critères d’admissibilité draconiens.