đ§œ Des femmes filment leur mĂ©nage sur Youtube ; le clash de Tibo Inshape et Juju Fitcats
Gabrielle Stemmer a réalisé deux films agrégeant des vidéos postées par des « mÚres au foyer ». Tibo Inshape et Juju Fitcats se sont clashés pour se renouveler.
arobase, câest chaque semaine une rencontre avec celles et ceux qui font internet (artistes, vidĂ©astes, chercheuses et chercheurs, journalistes) ; des pĂ©pites, souvenirs de temps passĂ© sur internet ou documents originaux ; des rendez-vous de choses Ă voir et Ă Ă©couter.
đ§œRencontre avec Gabrielle Stemmer
Jâai dĂ©couvert Clean With Me (After Dark) en dĂ©but dâannĂ©e. Le film a gagnĂ© le prix spĂ©cial du jury du Festival du court-mĂ©trage Ă Clermont-Ferrand. Il commence comme nâimporte quel autre jour pour Gabrielle Stemmer, la rĂ©alisatrice : elle allume son ordinateur, se connecte et lance YouTube.
Gabrielle nous guide alors, sous lâĆil de la camĂ©ra, dans un univers du site comme il y en a tant : foisonnant, surprenant et invisible tant quâon ne lâa pas dĂ©jĂ effleurĂ©. En lâoccurrence, des femmes amĂ©ricaines se filmant en train de nettoyer leur logement. AprĂšs avoir Ă©chouĂ© Ă se parler par tĂ©lĂ©phone, Gabrielle mâa racontĂ© par mail les prĂ©mices de ce projet de fin dâĂ©tudes de la FĂ©mis.
« J'aime avant tout voir la vie des gens, je regarde pas mal de vlogs. Je regardais des vidéos de retours de courses, de produits terminés (des grands classiques du youtube féminin), je pense qu'il était inévitable que l'algorithme finisse par me proposer des vidéos de ménage ! »
Le film se dĂ©roule comme un navigation dans un nouvel univers Youtube. On commence par une vidĂ©o, puis deux, puis toutes. On sâattarde ensuite dans les commentaires, puis sur les dĂ©tails de ces vidĂ©os. Puis on gratte, un peu, pour en savoir plus sur la vie de ces femmes. On cherche oĂč elles habitentâŠ
« Internet leur permet de réaliser un vieux fantasme féministe : rendre visible le travail invisible des tùches ménagÚres. Mais bien sûr dans ce cas précis, c'est dans une logique plutÎt inverse. La section commentaire est remplie de félicitations, d'encouragements, de demandes de conseils », observe Gabrielle.
Clean With Me (After Dark) est en effet un puissant essai fĂ©ministe qui laisse la parole Ă ces femmes, sans ironie. Par aggrĂ©gation de leurs vidĂ©os, on voit poindre les questionnements sous le liquide vaisselle. Ces femmes sont souvent seules Ă la maison, avec leurs enfants. Elles crĂ©ent des chaĂźnes sur Youtube pour rencontrer dâautres femmes comme elles. On dĂ©couvre les dĂ©pressions et lâanxiĂ©tĂ© derriĂšres les portes Ă©tincelantes.
Ce film mâen rappelle un autre, du mĂȘme genre, Ă propos de la maladie des Morgellons qui toucherait certaines femmes. RĂ©alisĂ© par ChloĂ© Galibert-LaĂźnĂ©, il dissĂšque The Pain of Others, de Penny Lane. On se rend compte au fur et Ă mesure du visionnage que les femmes partagent dans leurs vidĂ©os bien plus que des symptĂŽmes physiques.
Les deux rĂ©alisatrices Ă©taient dâailleurs les invitĂ©es dâune table ronde Ă lâĂ©cole dâart de Belfort Ă lâoccasion du Festival Entrevues sur les « net found footage », câest Ă dire les films rĂ©alisĂ©s Ă partir dâautres films trouvĂ©s en ligne. ChloĂ© Galibert-LaĂźnĂ© prĂ©cise que ce sont des « desktop films » qui reproduisent le dispositif du bureau dâordinateur.
Clean With Me (After Dark), le film de Gabrielle Stemmer est visible sur myCanal. On peut aussi regarder « le pendant lĂ©ger et comique de cette question du travail domestique », comme le dĂ©crit Gabrielle, avec Women on TikTok â partagĂ© la semaine derniĂšre dans La vie matĂ©rielle, super newsletter de Notorious Bigre â qui montre lĂ aussi des « mĂ©nagĂšres » prĂ©sentes sur le rĂ©seau social. Regarder ce film aprĂšs Clean With Me enlĂšve cependant un peu dâhumour Ă ces mĂšmes TikTok.
đȘPĂ©pites
Chaque semaine, je vous propose des pépites, souvenirs de temps passé sur internet ou documents originaux.
Vous connaissez peut-ĂȘtre Thibaud et Justine sous leurs noms de scĂšne, Tibo Inshape et Juju Fitcats. Vivant dans le Tarn, les deux vidĂ©astes et entrepreneur·es officient notamment sur Youtube. Thibaud a 28 ans, 7,8 millions dâabonné·es sur Youtube, 4,3 millions sur Instagram. Il gĂšre Ă©galement plusieurs salles de sport et une marque de produit de nutrition. Justine a 25 ans, 2,49 millions dâabonné·es sur Youtube, 3 millions sur Instagram. Elle propose une ligne de vĂȘtements et un livre de recettes, notamment.
Les deux se sont rencontrĂ©s Ă lâoccasion dâun concours organisĂ© par Tibo pour trouver « Miss Inshape ». Tibo Inshape sâest fait connaĂźtre en rĂ©alisant des vidĂ©os sur la musculation. Cela lui a valu dâĂȘtre de devenir un incourtournable pour les mĂ©tiers de la sĂ©curitĂ© : il a fait plusieurs vidĂ©os rĂ©munĂ©rĂ©es avec lâArmĂ©e de terre, la Gendarmerie ou lâAdministration pĂ©nitentiaire. Hors de tout partenariat rĂ©munĂ©rĂ©, il sâĂ©tait Ă©galement rendu au centre pĂ©nitentiaire dâAlbi en 2018, pour deux vidĂ©os, Ă la rencontre de dĂ©tenus.
En Ă©crivant un article sur Tibo Inshape il y a plusieurs, jâai dĂ©veloppĂ© une affection pour ces deux vidĂ©astes-entrepreneur·ses, et je me tiens au courant de ce quâils deviennent rĂ©guliĂšrement. Cet automne, ils ont feint une sĂ©paration pour pouvoir rĂ©aliser trois clips musicaux : le premier oĂč Juju Fitcats « clashe » Tibo Inshape, la rĂ©ponse de Tibo puis la rĂ©conciliation. —ïž
Ces trois clips sont avant tout tournĂ©s vers leurs communautĂ©s, avec des blagues rĂ©fĂ©rencĂ©es, des critiques que les deux reprennent Ă leur compte⊠Fascination de Tibo Inshape pour les « meules », dĂ©dicaces vidĂ©os vendues une trentaine dâeuros ou remarques rĂ©guliĂšres faites Ă Juju Fitcats de profiter de la notoriĂ©tĂ© de Tibo⊠Tout y passe. Le son est trĂšs autotunĂ©, les images sont particuliĂšrement lĂȘchĂ©es et lâensemble est le fruit de plusieurs semaines de travail, avec plusieurs personnes.
Ce qui est intĂ©ressant dans toute cette histoire, câest que ça permet de voir la charge de travail que reprĂ©sentent ces « nouveaux » mĂ©tiers, le besoin de renouvellement. « Les abonnĂ©s attendent leurs posts tous les jours. Si je nâen envoie pas pendant une journĂ©e ils sâinquiĂštent. Jâai dĂ©jĂ reçu des messages me demandant si jâallais bien », tĂ©moignait Justine sur France 3.
Pour renouveler les contenus de leurs chaĂźnes, pour crĂ©er quelque chose dâun peu diffĂ©rent, ils sont allĂ©s piocher dans ce qui sâest dĂ©jĂ fait sur dâautres chaĂźnes. Thibaud et Justine citent comme inspiration les clash des frĂšres Paul dans la vidĂ©o oĂč ils sâexpliquent sur ce « canular ».
Cette vidĂ©o leur permet dâĂ©voquer de nombreux aspects de la pratique des vidĂ©astes sur Youtube, que ce soit le cyber-harcĂšlement, les relations avec les abonné·es, le manque de recul ou lâabsence de distinction, chez les internautes, entre vie sur les Ă©crans et vie hors des Ă©crans.
Vincent ManilÚve, qui a écrit Youtube derriÚre les écrans sur le sujet des Youtubeur·ses, et qui analyse réguliÚrement ces questions, regrette que certains sujets soient éludés :
On peut trouver par exemple dommage que Tibo nâait pas Ă©voquĂ© la question de ses partenariats avec lâarmĂ©e et lâimpact que ces vidĂ©os ont sur son jeune public. Ou encore sa vision parfois sexistes des femmes. Ou bien le problĂšme de fond concernant certaines femmes vidĂ©astes, comme Jujufitcats, accusĂ©es Ă tort de profiter de la cĂ©lĂ©britĂ© de leur compagnon.
đčĂ regarder
Le « net found footage » dont nous vous parlions plus haut est lâobjet dâune collection sur TĂ«nk, Ă lâoccasion du festival Entrevues de Belfort. La Mer du milieu de Jean-Marc Chapoulie est rĂ©alisĂ© intĂ©gralement Ă partir des webcams touristiques du bord de mer, montrant la mĂ©tĂ©o. Fraud, de Dean Fleischer-Camp propose de suivre une famille, en sĂ©lectionnant des extraits de ses vidĂ©os sur Youtube. RĂ©my, de Guillaume Lillo est une histoire racontĂ©e par des vidĂ©os disparates, trouvĂ©es en ligne.
Net found footage, TĂ«nk, jusquâau 6 janvier 2021
Gabrielle Stemmer vient de sortir un nouveau court-mĂ©trage, dans le cadre de la sĂ©rie Hobbies, oĂč elle rencontre, sur Second Life, une vidĂ©aste « secondlifer », Bolly Coco. « On se donnait rendez-vous sur des plages, dans des lagons perdus, dans des clubs, et elle me racontait sa vie et sa vision des mĂ©taverses », se souvient Gabrielle.
On redĂ©couvre lâunivers en 3D de Second Life pour une visite guidĂ©e par une habituĂ©e, qui rappelle que tout ce qui existe lĂ -bas a Ă©tĂ© programmĂ© et achetĂ©, des vĂȘtements aux mouvements de danse. Et qui rappelle aussi que lâĂ©vasion est Ă portĂ©e de clic.
Ăpisode 3 : Bolly Coco, Hobbies, Canal+
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