👾 Kek, la fin de Flash et des femmes en ligne
Connu notamment pour ses « jeux chiants », Kek enterre en notre compagnie Flash, qui va s'arrêter le 30 décembre. On parle aussi des femmes en ligne, des sites opportunistes aux espaces politiques.
arobase, c’est chaque semaine une rencontre avec celles et ceux qui font internet (artistes, vidéastes, chercheuses et chercheurs, journalistes) ; des pépites, souvenirs de temps passé sur internet ou documents originaux ; des rendez-vous de choses à voir et à écouter.
👾Rencontre avec Kek
Le 31 décembre 2020, Flash va s'arrêter. Vous êtes déjà sûrement invité·e à le supprimer de votre ordinateur. Ça veut dire que, dans quelques semaines, tous les sites proposant des animations, des jeux, des formats interactifs en Flash seront lisibles encore moins facilement et qu’une majorité des internautes ne pourront plus les voir.
Il y a deux jours, FarmVille a cessé l’ensemble des transactions financières de la première version de son jeu, très populaire sur Facebook il y a dix ans, en prévision de cet arrêt. À la fin de l’année, le jeu ne sera tout simplement plus accessible.
L’interactivité et la créativité en ligne doivent beaucoup à la technologie développée par Adobe. « J'ai commencé à faire du Flash en 2000 », se souvient Kek, qui propose depuis plus de 15 ans, sur Zanorg.com, des « jeux chiants ».
« Le premier truc en Flash que j'ai fait s'appelait Tronche de kek ». En cliquant sur une photo de lui, on pouvait modifier ses yeux, sa bouche, son nez, créant autant de visages qu'on le souhaitait. Suprême honneur : en 2014, à l’occasion de la Coupe du monde de football, Rihanna a tweeté une photo de Kek ainsi générée.
On peut toujours trouver sur le site de Kek des labyrinthes et des casse-briques mouvant… En 2013, Kek avait proposé un navigateur multipistes, permettant d’explorer la construction de plusieurs morceaux de musique. Les commentaires sont dythirambiques ; le jeu avait atteint la première page de reddit.com.
Sur IDEA, un e-zine indien dédié à la crétion numérique, le septième numéro proposait plusieurs contenus créés par Kek et sa présentation, mais également d’autres animations poétiques de Zazie ou une collection de gif animés. De la belle création numérique.
La disparition de Flash ? « Il y a carrément une nostalgie. Il y avait une grosse communauté de Flasheurs, elle a disparu désormais, se lamente-il. Il y a moins de création parce que quelqu'un qui n'y connaissait rien pouvait faire un truc assez rapidement avec Flash. C'était simple. Maintenant, même pour un jeu tout débile avec deux boutons, il faut du jQuery, du html, etc. Ça décourage les gens... »
« On a perdu une part de liberté… », regrette-il encore. L’annonce de la fin de Flash n’a pas encore déclenché de vraie vague de regret, ni de projet de sauvegarde d’ampleur. 38 000 jeux ont été sauvegardés par Flashpoint. Archive Team – qui a notamment lancé l’opération de sauvegarde du contenu de Geocities – prévoit quelque chose pour la semaine prochaine, m’anonce-t-on… [MàJ 23:33 : Internet Archive propose sur son site une bibliothèque d’animations et jeux flash, avec un émulateur pour les faire tourner et même la possibilité d’ajouter vos animations préférées.]
Les récentes mises à jour de Windows ou Adobe ont déjà commencé à faire disparaître Flash. Une tranche d’internet va bientôt disparaître derrière des file not found et « Veuillez télécharger Flash player ».
Et vous, quels sont vos souvenirs de Flash ? Quel jeu aimeriez-vous conserver ? Ou alors, bon débarras, on pouvait même pas jouer sur iPhone ?
Kek a arrêté les jeux en Flash. Il en fait pour des clients parfois, mais en HTML5. Mais il n’en fait plus très souvent pour son propre plaisir. Aujourd’hui, son temps libre en ligne est plutôt consacré aux blogs bédés.
Il faut dire que Kek a hébergé un des plus mystérieux blogueur bédé, à partir de 2005 : Frantico. Après avoir entretenu un peu de secret, on sait désormais qu’il s’agissait de Lewis Trondheim. Il avait ensuite proposé les aventures de Nico Shark, un chef du personnel avatar de Nicolas Sarkozy, alors que celui-ci était aux portes de l’Élysée. Mais tout ceci est une autre histoire, dont une partie sera certainement racontée dans arobase…
👩💻 Femmes sur Internet
Quand on traîne sur les visites guidées dans les archives d’internet proposées par la BNF, on trouve deux sites aux noms sans équivoque. Cyber-rebelles et Internénettes existaient au tout début d’internet et visaient un public féminin.
Cyber-rebelles est proposé par la Fondation d’entreprise Boulanger – qui a un intérêt financier à ce que l’utilisation du web croisse – à la fin des années 1990. Il veut convaincre « toutes celles qui résistent à Internet ». Le site propose des conseils pour bien se connecter – plutôt le matin, quand les Américains et les Canadiens qui « raffolent d’internet » dorment –, pour envoyer un mail ou pour trouver un site quand on ne connaît pas son url. À quoi sert internet, selon Cyber-rebelles ? Trouver « une bonne adresse pour faire garder son chien, le nom d'un vernis qui tient, des infos sur le nouveau petit ami de Caroline... »
Internénettes s’est lancé au début de l’année 1997, et rassemble des femmes travaillant dans le secteur des nouvelles technologies. C’est un album souvenir d’une bande de potes. Dans un mémoire, soutenu en 2016, sur l’histoire de l’internet féministe en France, Lucy Halliday note à propos d’Internénettes que leur arrivée sur le Web fait suite à « la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes qui s’est tenue à Beijing du 4 au 15 septembre 1995. Cette conférence évoque la place trop peu présentes des femmes dans les médias en général, et de la nécessité de ces dernières à acquérir les “réseaux de communication mondiaux” afin de lutter contre les images stéréotypées sexistes véhiculées par les canaux de communication. »
De l’autre côté des États-Unis existait le « Women’s web », tel que l’appelait Salon en 2000. Le site phare à l’époque était Chicklit, évoqué récemment par TechTrash. Chicklit rassemblait, sous la même bannière, une quarantaine de sites différent, racontait Jay Hoffmann, dont des forums et des sites persos créés par deux femmes. Racheté en 2002, le site a rapidement fermé ensuite…
Pour une vision un peu plus politique de la présence des femmes sur internet, on se tournera vers le récemment mis en ligne Cyberfeminism index, commissionné par Rhizome, organisation de préservation et promotion de la création numérique, qui liste un nombre impressionnant de contenus cyberféministes, cyber et féministes.
Liens, images et collections des deux permettent de se plonger dans les contenus créés par nombre de femmes, en commençant par A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist-Feminism in the Late Twentieth Century, écrit en 1991 par Donna Haraway.
💃A voir en ligne
Pour tout vous dire, j’avais prévu d’être aujourd’hui à Belfort, dans l’Est de la France, pour visiter deux expositions dont une monographie d’Olia Lialina, Something for Everyone, était présentée à l’Espace Multimédia Gartner.
Drôle d’expérience que de se rabattre sur la visite virtuelle, crise sanitaire oblige, qui montre, dans mon ordinateur, des navigateurs web et des écrans (et des bouteilles de gel hydroalcoolique) dans un espace d’exposition présentant des œuvres d’Olia Lialina accessibles en ligne.
Olia Lialina est une artiste utilisant le web depuis bien longtemps. Elle présente dans cette exposition plusieurs portraits en ligne, d’un gif la montrant faire de la balançoire à une vidéo de vent dans ses cheveux divisée sur trois sites différents.
Olia Lialina, Something for Everyone, Espace Multimédia Gartner, Bourgogne (Territoire de Belfort), jusqu’au 22 novembre et en ligne
Pendant une semaine à la fin du mois d’octobre, Alex Norris a proposé une exposition en ligne de ses fameux comics « oh no » sur la vie sur les réseaux sociaux et ses désagréments.
La vie en ligne peut être rude, source de frustration, de temps perdu et de tribunes offertes à des paroles décevantes. Autant de sujet abordés par Alex Norris avec son personnage « blob », et sa conclusion inamovible :
« oh no »
Extremely Online, Alex Norris, entre le 26 et le 31 octobre, visible en ligne