La plongée de Caroline Sinders dans les réseaux sociaux et un créateur mafieux
L'artiste et chercheuse Caroline Sinders fait du reportage photo au cœur des réseaux sociaux. Un mafieux a été retrouvé grâce à ses vidéos sur YouTube.
Rencontre avec… Caroline Sinders
Dans la présentation de son exposition qui s’est tenue à San Francisco au printemps, Caroline Sinders est présentée comme une photojournaliste envoyée spéciale sur les réseaux sociaux, « documentant les événements au fur et à mesure ». Le terme résume bien le travail de cette chercheuse et artiste, qui s’intéresse aux discours de haine et au cyberharcèlement depuis au moins 2013.
« Internet est un lieu que j’explore. Je prends mon appareil photo sur YouTube et je photographie tout ce que je vois. J’essaie d’appliquer à l’art numérique les principes de la photographie », nous a expliqué Caroline, par visio, il y a quelques jours.
L’idée est aussi de collecter des preuves sur la manière dont les plateformes fonctionnent. « Je fige un moment dans le temps pour montrer où nous en sommes, ce que les plateformes font de mal », poursuit-elle, ajoutant qu’elle utilise ces preuves comme matériau pour ses œuvres ou ses travaux de recherche.
Mi-septembre, la dernière œuvre de Caroline Sinders a été publiée en ligne, dans le cadre du programme Open Secrets de l’institut KW pour l’art contemporain. A Certain Kind of Doom Scroll reprend des images partagées grâce au hashtag #savethechildren.
In 2016, a white man with an assault rifle entered a pizzeria.
In 2016, a white man with an assault rifle entered a pizzeria in the United States, looking to rescue children from a child trafficking ring.
In 2016, a white man with an assault rifle entered Comet Pizza in the United States, believing children were being sold in a trafficking ring, and that former presidential candidate Hilary Clinton was involved.
Au fil du scroll montrant différentes images, ce hashtag entre en collision avec d’autres, qu’ils soient en soutien à Donald Trump, concernés par le Covid-19 ou la situation en Afghanistan ou profondément ancrés dans les théories QAnon. Il fait apparaître des photomontages reprenant « l’esthétique millenial » sur Instagram, ainsi que la qualifie Caroline : « Des mères millenials utilisent beaucoup ce hashtag, sans vraiment connaître son lien avec QAnon. »
Il s’agit d’un « emotional malware », explique l’artiste-chercheuse, c’est à dire des systèmes « conçus pour cibler et faire du mal, mais aussi conçus pour jouer sur les stéréotypes de la victime ». Au risque, de partager plus encore ces images, sans se rendre compte des sous-entendus, et au risque de se trouver embarqué, permettant à ce malware de s’étendre au delà de sa communauté d’origine.
« On peut analyser les réseaux sociaux à partir de trois niveaux d’infrastructures. Premièrement, l’infrastructure technique, pour comprendre comment ces plateformes sont construites, ce qu’elles permettent ou non. Deuxièmement, l’infrastructure sociale, c’est à dire les normes construites par les communautés, par exemple l’utilisation d’un émoji dans un certain sens, d’un jargon… Enfin, l’infrastructure politique, relatives aux règles d’utilisations définies par les plateformes et à la manière dont elles sont mises en œuvre. »
Une compilation des travaux de Caroline Sinders a été publiée conjointement à l’exposition Architectures of Violence et est sortie au printemps, sous la forme d’un livre.
L’histoire de… un vidéaste tatoué
Ce lien est longtemps resté dans ma petite réserve dans l’espoir d’en savoir plus un jour… Au printemps 2021, Marc Feren Claude Biart, un quinquagénaire d’origine italo-néerlandaise, proche du clan Cacciola qui fait partie de la mafia calabraise, la ’Ndrangheta, a été arrêté.
Il avait fui l’Italie en 2014 avant d’être retrouvé, en 2021, par Interpol en République Dominicaine, dans la ville de Boca Chica. La police italienne a largement communiqué sur le sujet, et notamment sur la façon dont ils ont pu l’identifier : grâce à des vidéos postées sur YouTube.
Les policiers ont expliqué à NBC News savoir que la femme de Marc Feren Claude Biart avait une activité importante sur YouTube et avoir connaissance du passé de cuisinier du suspect. Les vidéos ont permis de confirmer son identité, notamment grâce aux nombreux tatouages visibles.
J’aurais aimé retrouver un tuto cuisine, réalisé par cet homme et sa femme, mais, toujours grâce à NBC News, on apprend la chaîne, lancée au début de l’année 2021 a depuis été mise hors ligne. Et je trouve assez fascinant que l’appel du bouton « Upload » de YouTube semble plus fort que tout, même pour un fugitif…
A voir
Depuis 2016, Demi Adejuyigbe publie chaque 21 septembre un clip pour un remix de September, du groupe Earth, Wind and Fire. Petit à petit, la réalisation a gagné en épaisseur, avec de plus en plus de moyens, comme l’analysait Samuel Kahn sur Twitter. Le rendez-vous est attendu et une url redirige désormais vers une collecte de dons, à l’adresse sept21st.com.
La dernière mouture dure plus de huit minutes, et rassemble de nombreuses personnes dans une atmosphère de fête, loin du pas de danse improvisé devant l’ordinateur, dans la première édition.