La vie d’Ibelin, gamer norvégien et un challenge foireux
Mats Steen, atteint d'une myopathie de Duchenne, avait créé de nombreuses amitiés dans World of Warcraft. La startup Frichti a imaginé un challenge qui n'a pas eu la fin qu'elle espérait.
L’histoire d’Ibelin, gamer norvégien
En novembre 2014, il y a presque dix ans, la famille de Mats Steen a publié sur son blog un billet pour annoncer sa mort. En laissant leur adresse mail, ses proches ne se doutaient pas du flot de courriels qui arriveraient pour s’associer à leur peine. Certes, leur fils et frère passait du temps à jouer, mais comment auraient-ils pu penser qu’il vivait en ligne de formidables histoires.
« Je passe beaucoup de mon temps dans lieu appelé Azeroth, que certains connaissent, j’en suis sûr. Là-bas, mon handicap ne compte pas, mes chaînes sont brisées et je peux être qui je veux. Là-bas, je me sens normal. »
Si sa mort a révélé à sa famille sa vie en ligne, elle a appris à ses ami·es en ligne qu’il était atteint d’une myopathie de Duchenne le figeant sur un fauteuil depuis longtemps. Il évoluait sous les traits d’Ibelin, participait aux quêtes, discutait et avait intégré la guilde Starlight dans World of Warcraft.
Son histoire avait été racontée par le servic public radiophonique norvégien — un article traduit en anglais par la BBC — où plusieurs de ces joueur·ses témoignaient. Un documentaire mis en ligne sur Netflix récemment raconte également cette histoire, s’appuyant sur les archives de la guilde pour recréer certains dialogues.
« Bouleversé [par l’article], j’ai contacté son père qui m’a apporté des dizaines et des dizaines de cassettes VHS – cette famille se filmait un peu plus que la moyenne… », raconte Benjamin Ree, le documentariste norvégien et auteur du film à Télérama. « J’ai fouillé dans une cinquantaine d’heures d’enregistrements vidéo. Sans parler de l’étude de ces milliers de lignes de dialogues provenant du jeu, que les membres de sa “guilde” nous ont fournis ensuite. »
Les traces numériques de la vie de Mats sont multiples : les VHS filmées par sa famille, ses billets de blogs, son historique dans World of Warcraft. Chacune montre une facette différente de Mats. Des traces séparées et imperméables jusqu’à ce qu’il partage le lien de son blog à certains membres de Starlight, ou que ses parents rencontrent ses camarades de jeu la veille de son enterrement.
Ces différentes vies sont bien racontées et richement illustrées dans le documentaire de Benjamin Ree.
L’histoire du défi lancé par Frichti
A l’été 2019, la startup Frichti imagine un concours réservé à 300 parisien·nes. Les règles sont simples :
« Le gagnant doit se faire livrer entre 17h30 et 23h30, et poster sur Twitter une photo de son dîner avec le hashtag #FrichtiChallenge. »
Les participant·es s’engagent sur la durée : le jeu ne dure pour eux que s’ils postent chaque soir la photo. Un seul oubli, et l’offre disparaît le lendemain de leur application. « Les organisateurs du jeu semblaient compter sur les ponts du mois de juin et les week-ends à rallonge pour voir les participants abandonner les uns après les autres », spéculait Capital, revenant sur la débâcle.
Parce que tout ne s’est pas passé comme prévu et que, visiblement, les joueur·ses ont tenu plus longtemps que ne l’aurait pensé Frichti… Mi-juillet, le règlement est modifié, laissant voir la tentative de Frichti de durcir les règles au fil du jeu pour évincer des participant·es.
« Tous les jours, le gagnant devra confirmer son identité en prenant une photographie le représentant et faisant apparaître le numéro de commande [et l’envoyer par DM] dans les quinze minutes suivant la livraison. »
A la mi-juillet, Frichti tente de contacter plusieurs participant·es par DM. Pour « pimenter » le challenge, l’entreprise réclame ce soir-là par message privé que les ingrédients achetés soit intégrés dans une tarte, et que, comme d’hab, une photo soit envoyée sur Twitter.
Ambre prévient : « Je ne fais pas de tarte ce soir. » Elle quittera l’aventure le 20 août.
Romain ne se démonte pas et fait une tarte, non sans énervement. Il s’arrêtera néanmoins fin juillet. « J’ai toujours respecté scrupuleusement les règles et je n'enverrai ni selfie ni rien d'autre », s’emporte encore mi-juillet Ayoub, qui cessera au même moment de poster des photos, et abandonnera ainsi le challenge.
Le dernier a tenir a posté pendant plus de deux ans. LiroyBen a tenu jusqu’au 23 décembre 2021, partageant des photos tous les soirs — mais semblant commencer en janvier 2020… Contacté par nos soins, il n’a pas répondu.
Frichti a été racheté par Gorillas en 2022, rachetée elle-même par Getir. L’ensemble a été liquidé à l’été 2023. La marque Frichti appartient désormais au groupe La Belle Vie. Plus de 150 ex-salariés, dont de nombreux sans-papier, sont eux devant les prudhommes pour contester leur licenciement.
À lire, à voir
« Nous pensions qu’Internet avait une mémoire, remarque un blogueur chinois dans cette enquête fouillée du New York Times. Mais nous n’avions pas compris que c’était une mémoire de poisson rouge. » Li Yuan, journaliste d’origine chinoise raconte comment l’Internet chinois disparaît petit à petit sous le coup de la censure.
« J’ai eu l’impression qu’une partie de ma vie a été supprimée », raconte-t-elle lorsque son compte sur Weibo est supprimé. Un site propose l’accès aux archives de nombreux documents, et notamment des blogs ou des podcasts, sans pouvoir néanmoins capturer tous les contenus chinois qui disparaissent.
As China’s Internet Disappears, “We Lose Parts of Our Collective Memory”, Li Yuan, New York Times, juin 2024
En Californie — mais aussi dans d’autres endroits du monde — certains pylônes d’antennes téléphoniques sont déguisés en arbre. Kaya & Blank ont photographié nombre d’entre eux, ressemblant à des palmiers, dans le sud de la Californie, récupérant aussi quelques feuilles en plastique tombées. Une série repérée par Slate.fr il y a quelques jours et dont certains clichés sont réunis dans un livre, paru en 2022.