đŒ Les mĂ©tamorphoses de la musique avec YouTube et la fin de « Space Jam »
Guillaume Heuguet publie une analyse des liens entre la musique et la plateforme de vidéos. Le site de « Space Jam », intouché depuis 1996, a été modifié pour le sequel du film qui sortira cet été.
đŒ Rencontre avec Guillaume Heuguet
« OĂč donc est Matt ? » En 2005, Matt Harding se filme rĂ©alisant une chorĂ©graphie un peu ridicule, face Ă la camĂ©ra, dans diffĂ©rents points du globe, entre 2003 et 2004. La seconde, sponsorisĂ©e, est publiĂ©e en 2006. Cette danse en tout lieu, face Ă la camĂ©ra, fait aujourdâhui beacuoup penser aux codes de TikTok ; elle a Ă©tĂ© postĂ©e plus de dix ans auparavant.
Dans son livre YouTube et les métamorphoses de la musique (Editions Ina), qui devrait arriver dans les librairies, Guillaume Heuguet, chercheur en sciences de l'information et de la communication à Paris Sorbonne, rappelle que cette vidéo, publiée dans un premier temps sur le site du réalisateur, a donné lieu à un concours pour encourager la création de vidéo sur YouTube.
« InspirĂ© par Matt Harding, YouTube est fier de prĂ©senter notre premier concours mensuel de vidĂ©os. Pour participer, enregistrez-vous simplement en train de danser dans un endroit unique et Ă©tiquetez la vidĂ©o avec wherethehellismatt. Le gagnant sera sĂ©lectionnĂ© Ă la fin du mois par lâĂ©quipe de YouTube. Rejoignez le concours dĂšs maintenant ! »
Guillaume remarque Ă©galement que cette reprise par YouTube de la vidĂ©o de Matt Harding est une « triple reproduction », notamment en raison de la musique utilisĂ©e en bande-son. Câest « lâamalgame dâune berceuse, de son usage exotisant dans un morceau de musique Ă©lectronique, et dâun clip primĂ© pour son esthĂ©tique du tourisme et sa photo pictorialiste ».
Selon lui, les premiĂšres vidĂ©os utilisant de la musique sur YouTube illustrent bien plusieurs caractĂ©ristiques de la plateforme dans son lien avec la musique. La musique, Ă©crit-il « est ainsi faite dâindices fugaces, preÌts aÌ circuler car preÌts aÌ sâalteÌrer, se confondre ou se dissiper dans les spectacles aÌ peu de frais de vies individuelles » mais dans le mĂȘme temps, elle est une « forme standardiseÌe et industrielle » et un « reÌpertoire de nuances affectives » qui participe Ă la culture collective. Musique dâambiance et ritournelle populaire.
Ăa fait plusieurs annĂ©es que Guillaume Heuguet, qui est Ă©galement rĂ©dacteur en chef de la revue Audimat, se penche sur les liens entre cette plateforme et la musique. Le livre est une adaptation de sa thĂšse. Lire son livre ou discuter avec lui par tĂ©lĂ©phone, câest lâassurance dâune grande variĂ©tĂ© dâexemples, de thĂ©ories, de rĂ©flexions sur les Ă©volutions de la musique au reflet des technologies.

Il raconte ainsi la chaĂźne YouTube dâun homme, passionnĂ© de punk, qui publie en ligne une numĂ©risation de cassettes audio quâil possĂšde. Il a fait un burn-out Ă force de vouloir tenir un rythme rĂ©gulier imposĂ© par la plateforme, avant de lancer un podcast, puis de revenir, de maniĂšre plus Ă©pisodique.
Il revient Ă©galement sur le dĂ©terminisme technique adoptĂ© lorsquâon parle de Youtube, le tenant pour seul responsable de la rĂ©ussite de certains morceaux, comme Psy, mettant de cĂŽtĂ© la musique, sa production ou dâautres raisons encore. « Tous les travaux qui cherchent Ă trouver des effets de viralitĂ© font une boĂźte noire de la forme elle-mĂȘme », remarquait-il, par tĂ©lĂ©phone, il y a quelques jours
Il se passionne aussi sur la gestion des droits dâauteur par la plateforme, qui a des effets sur la musique : « Content ID et la dĂ©tection du droit dâauteur, notamment grĂące Ă la reconnaissance de samples, peut favoriser certaines Ă©coutes mais peut aussi les dĂ©courager, en limitant certaines diffusions », mâexpliquait Guillaume. « Le dispositif Content ID incite Ă ne pas exercer le droit moral pour mieux profiter dâune rente, et propose de remplacer le contrĂŽle des supports et des diffusions par une industrie qui tire profit des variantes », analyse-t-il dans son livre.
Dâautres effets de YouTube sur la musique peuvent ĂȘtre vus dans la longueur des titres, la frĂ©quence de publication ou encore la publication par sĂ©rie, autour dâun mot-clef, comme la sĂ©rie de vidĂ©os de MHD sur lâafro trap, liste encore le chercheur par tĂ©lĂ©phone.
En guise de conclusion Ă son livre, Guillaume Heuguet remarque que la position de YouTube vis-Ă -vis de la musique nâest guĂšre Ă©loignĂ©e de celles de producteurs dâappareils ou de radiodiffuseurs, qui avaient choisis de sâinvestir dans la musique dans lâobjectif de crĂ©er des opportunitĂ©s commerciales.
Pépites
Chaque semaine, je vous propose des pépites, souvenirs de temps passé sur internet ou documents originaux.
CâĂ©tait un site abandonnĂ©, symbole dâune pĂ©riode passĂ©e, de lâinternet des annĂ©es 1990, des fonds Ă©toilĂ©s et de gifs animĂ©s. Le site avait survĂ©cu plusieurs vagues mais ne survivra pas Ă une nouvelle vague marketing : SpaceJam.com est dĂ©sormais dĂ©diĂ© au sequel du film dâanimation dans les salles en 1996, qui devrait sortir cet Ă©tĂ©.
Jen Braun remarque la fin du site quâelle a construit, avec dâautres : « à lâĂ©poque, nous ne pensions pas que ce site vivrait si longtemps et quâil aurait un tel impact », raconte-elle quelques annĂ©es plus tard Ă Rolling Stone. Entre la sortie et lâarticle, un Ă©vĂ©nement : le partage sur Reddit du site spacejam.com, en 2010.
Lâancien site est toujours accessible aujourdâhui Ă lâadresse spacejam.com/1996, du moins dans son ensemble. Plusieurs modifications ont Ă©tĂ© apportĂ©es, notamment un tracker, et un avertissement concernant la politique de confidentialitĂ© de Warner Bros. On retrouve nĂ©anmoins ce qui faisait tourner les sites dans les annĂ©es 1990, et notamment lâutilisation de frames, chargeant diffĂ©rentes pages html au mĂȘme endroit, permettant dâĂ©conomiser la recopie de codes en affichant un menu unique, par exemple.
On lit souvent que le site est restĂ© intact entre 1996 et 2021, et quâil restait en ligne tel un artefact des dĂ©buts du cinĂ©ma sur internet. Il nâen est rien : le site a Ă©tĂ© plusieurs fois modifiĂ©, notamment Ă lâoccasion de la sortie du film en DVD et son url a Ă©galement Ă©tĂ© modifiĂ©e plusieurs fois.
Gif, frames, image maps ou panorama Ă 360°⊠Parce que le site nâest pas seulement un outil de communication pour le film, mais Ă©galement une dĂ©monstration de force du studio sur ses compĂ©tences en web, il reste une capsule de ce que le web fut en 1990, qui crĂ©e une nostalgie immĂ©diate.
On raconte aujourdâhui ces premiers sites web comme des aventures. En 2014, Robin Bechtel avait racontĂ© la crĂ©ation dâun site pour la sortie de Risk, de Megadeth. Une version du site Megadeth, Arizona est toujours en ligne. Il proposait de nombreuses possibilitĂ©s aux utilisateur·ices de participer. « Cette technologie a pris vie. GrĂące aux gens qui venaient sur le site et qui y retournaient, ils lui donnaient une existence propre », se souvient Robin Bechtel.
Ă lire, Ă voir
LâĂ©conomie des crĂ©ateur-ices, comme la dĂ©finit Taylor Lorenz, journaliste spĂ©cialisĂ©e au New York Times, reprĂ©sente une dizaine de millions de personnes dans le monde. Dans un article trĂšs dĂ©taillĂ©, elle revient sur tous les moyens qui sâoffrent aujourdâhui Ă elles et eux pour gagner de lâargent grĂące Ă toutes sortes dâinteractions.
Elle raconte notamment lâutilisation dâapplications permettant aux abonné·es de voter contre quelques dollars sur les prochaines activitĂ©s de leur crĂ©ateur·ice prĂ©fĂ©rĂ©. Ou encore de lâusage des NFT pour assurer Ă ces abonné·es un objet unique provenant de leurs fans. Ces monĂ©tisations permettent Ă des crĂ©ateur·ices dâenvisager des revenus un peu plus confortables mĂȘme sâils ne comptent que plusieurs milliers dâabonné·es.
Le confinement a quelques mĂ©rites, notamment celui dâavoir donnĂ© Ă certaines personnes du temps, et une routine. Le rĂ©alisateur Matthew Highton a ainsi mis Ă profit cet enfermement pour recrĂ©er avec des clips disponibles sur les banques dâimages gratuites en ligne les gĂ©nĂ©riques de plusieurs sĂ©ries tĂ©lĂ©. On retrouve ainsi le gĂ©nĂ©rique de Buffy, the Vampire Slayer, ou celui de The OC.

En dĂ©tail, on retrouve : le gĂ©nĂ©rique de Pokemon, celui des Simpsons, de Friends, du Prince de Bel-Air, de Dawson Creek, de Cosmocats, de LâAgence tous risques, des diffĂ©rents gĂ©nĂ©riques de WandaVisionâŠ
Ce travail me rappelle celui dâEmilie Brout et Maxime Marion, qui en est lâexact opposĂ© par sa construction : les deux artistes ont choisi de rĂ©aliser un film, A Truly Shared Love, dont chaque extrait rejoindra une banque dâimage, donnant un aspect trĂšs clinique Ă leur travail. Le film entier sera prochainement projetĂ© Ă ParisâŠ
Génériques publiés sur le compte Twitter de Matthew Highton
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