👮♀️ Un duo d'artistes et les violences policières ; le chat de Fun radio
Le duo fleuryfontaine propose dans « Contraindre » et « Pax » un réflexio sur les violences policières, documentées grâce aux réseaux sociaux. Je me souviens ensuite du chat de Fun Radio en 2003...
arobase, c’est chaque semaine une rencontre avec celles et ceux qui font internet (artistes, vidéastes, chercheuses et chercheurs, journalistes) ; des pépites, souvenirs de temps passé sur internet ou documents originaux ; des rendez-vous de choses à voir et à écouter.
👮♀️ Rencontre avec fleuryfontaine
Contraindre et Pax, les dernières oeuvres du duo d'artiste fleuryfontaine – présentées cet automne au Fresnoy et à la galerie Glassbox Sud à Sète – évoquent les violences policières qui émaillent les manifestations depuis de nombreux mois et dont les stigmates abreuvent les réseaux sociaux.
Le travail de fleuryfontaine, dont j’avais parlé dans le dixième numéro de Nichons-nous dans l’Internet est inspiré par les jeux vidéos et nous fait évoluer dans des décors reproduits en 3D. Ils ont par exemple reproduit la chambre d’un hikikomori, ces adolescents qui s’isolent du monde, dans leur œuvre Ange – d’ailleurs visible sur le site de Beaux Arts Magazine. Ils ont aussi modélisé des couloirs de lieux de passage ou encore des paysages urbains. Dans leurs nouvelles œuvres, ce sont les corps qu’ils reproduisent et explorent.
Contraindre est une réflexion sur les violences policières. Le film montre principalement des silhouettes, « des pantins sans vie et sans histoire », comme les décrit Antoine Fontaine, une des deux têtes de fleuryfontaine, avec qui j’ai parlé il y a quelques jours sur Skype. Des silhouettes blanches qui parcourent des paysages urbains désertiques, se contorsionnant, vivant des agressions causées par des fantômes invisibles.
« La vie des gens est bouleversée par ces blessures, ils perdent leur travail, leur vie d’avant. C’est pour ça aussi qu’on voit des gens aux prises avec des forces invisibles. »
Pax, présenté cet automne à Sète, à la Chapelle du Quartier Haut, dans une exposition organisée par Glassbox, se concentre sur « des bouts d'hommes et de femmes triturés par les “gardiens de la paix” », qui ont également vu leur vie changer pour avoir participé à une manifestation, ou simplement avoir couru. Ces « bouts d’hommes » sont inspirés par autant de faits réels : mains arrachées par des grenades GLI-F4, oeil poché par un LBD ou encore éclats de grenade dans une cuisse.
Le duo d’artiste a compilé une collection d’images, vidéos et liens, sur un site dédié pour documenter toutes ces violences. « On a fait un catalogue de scènes d’agression et Contraindre reproduit ces scènes », explique l’artiste. Les vidéos d’agressions publiées sur les réseaux sociaux, expliquées par des associations de victimes ou des ONG, côtoient des illustrations d’un guide de self-défense archivé sur Gallica ou une vidéo de démonstration d’un cascadeur. Les visages connus des personnes tuées lors d’interventions policières défilent également ; « des noirs et des arabes », rappelle Antoine.
Les modélisations font écho au travail de Forensic Architecture, qui recrée, grâce à des sources ouvertes, différents événements en 3D, dont le meurtre de Mark Duggan par la police londonienne, ou la mort d’Adama Traoré. Mais alors que les vidéos de l’organisation sont froides et chirurgicales, celles de fleuryfontaine nous plongent dans un univers anxiogène.
La fin du film montre une danseuse au sol, le genou d’une autre danseuse sur le dos. La caméra se recule. Il y a en fait quatre personnes en combinaisons noires pour en maîtriser une seule. Cette posture est un placage ventral. « On peut même dire qu’ils font bien leur travail », commente la voix-off.
Une posture similaire a coûté sa vie à George Floyd, un noir-Américain dont la mort le 25 mai est apparue sur les écrans du monde entier. Un trop-plein d’images. La journaliste Rokhaya Diallo interrogée dans Programme B en juin dernier expliquait son choc de voir ces images multi-diffusées en ligne, et dans les médias. «Une fois que les images existent, et qu’elles peuvent faire office de preuve, on n’a pas besoin de participer à leur circulation. » Elle dénonce une déshumanisation de ces victimes, souvent noires, dont la mort est ainsi regardée, diffusée.
Pour en revenir à Contraindre, cette scène de fin, avec quatre silhouettes en maintenant une seule au sol a été tournée avant la mort de George Floyd. « On avait déjà la scène de fin, le placage ventral est dénoncé par de nombreuses associations depuis longtemps : cette position tue régulièrement des gens », rappelle Antoine Fontaine.
En janvier, Cédric Chouviat mourrait lui aussi des suites d’un placage ventral. Les vidéos tournées par les policiers ou par des passants ont depuis permis d’en savoir plus sur sa mort. Une diffusion de vidéos qui pourrait être freinée dans les prochains mois, selon plusieurs associations, si la proposition de loi « Sécurité globale » passe en l’état, notamment son article 24. Elle est étudiée à partir de mardi en séance publique à l’Assemblée nationale.
Filmer policiers et gendarmes « est une condition essentielle à l’information, à la confiance et au contrôle efficient de leur action », rappelait la Défenseur des droits récemment. Les pantins blancs de Contraindre ou de Forensic Architecture seront-ils bientôt le seul moyen autorisé de témoigner des violences policières ?
🐱 Pépites
Chaque semaine, je vous propose des pépites, souvenirs de temps passé sur internet ou documents originaux.
En 2003, je plongeais pour la première fois sur internet sans supervision. J’étais au Texas, j’avais ma propre chambre, et mon propre ordinateur. Je vivais avec sept heures de décalage avec la France et j’avais pris pour habitude de terminer mes fins de journées sur le chat de Fun Radio, en compagnie des noctambules français.
J’ignore combien de gens se connectaient pendant la journée ; pendant la nuit, nous étions une petite dizaine. Je ne me souviens pas de mes échanges. Je me souviens d’une femme, vaguement. Je dirais qu’elle avait la trentaine. Elle aurait pu s’appeler Solange. Elle était là presque tous les soirs.
Quand j’essaie de retrouver des traces du chat de Fun Radio, Web Archive agit comme une puissante machine à remonter le temps. Les petites animations en Flash qui gigotent et parsèment la page d’accueil de la radio sont comme des madeleines qui me font revivre les mêmes sensations qu’à l’époque…
« Les salons où l’on cause avec les stars et les internautes », rappelle la page d’accueil du chat, redirigeant vers les salles « Général », « Rencontres » ou « Spécial quiz ». Le 5 février 2003, les internautes pouvaient ainsi parler avec les L5 (« Toutes les femmes de ta vie…») ; le 12 février, c’était avec Kana ( « J’ai des petits problèmes dans la plantation…»).
Il est difficile de retrouver en ligne des traces de conversations, ou même l’interface de ce chat, qui fonctionnait grâce à IRC. Les archives proposées des chats sur Fun Radio avec les stars ne sont plus accessibles. A peine trouve-t-on quelques rendez-vous.
Sur jeuxvideo.com, en octobre 2002, on découvre la méthode d’Aeternus pour se rendre sur le chat de Fun Radio avec le logiciel MIRC. « Ce sont que des débiles mentaux la bas je te préviens... », conclut-il néanmoins. Quelques mois plus tard, en janvier 2003, sur un forum dédié aux Sims, Mélina et Adélie proposent de se retrouver sur le chat de Fun Radio :
[Melina11] Coucou tu me pardonne adelie?tu veu aller sur un chat ? ou quelq1 d’autre?
[Ad_sims] mé enfin melina t pardoné depuis lonten!!!!Si tu ve alé sur fun radio di le moi...
[Melina11] moi je veu bien
Un rapport de recherche réalisé en 2003, apparu sur Google alors que je cherchais des bouts de chat en ligne, revient sur le « processus d’individualisation des jeunes », notamment grâce à Internet. Ce rapport, Les espaces de l’autonomie des préadolescents » interviewe des jeunes français et allemand sur leurs pratiques numériques.
[Martial] écoute surtout Fun radio, notamment une émission où des gens appellent pour raconter leurs petites histoires (…) Il se rend sur des sites de « tchatche », mais il trouve la procédure, notamment pour retrouver le « salon privé » qu’il a créé avec ses copains, trop lourde, trop lente. (…) Avant il allait voir son père sur les tchatches sur Wanadoo, car il était connecté à son bureau. Martial lui envoyait des messages pour voir s’il était à son bureau ou pas.
Et vous, quels sont vos souvenirs de chats en ligne et d’IRC ? Étiez-vous plutôt chat de Fun radio, d’NRJ ou de Wanadoo ? Ou peut-être était-ce Caramail ? Laissez un commentaire, témoignez, ils serviront peut-être pour une prochaine newsletter.
🎧 À écouter, à visiter
En septembre, Xavier de La Porte recevait, dans son podcast « Le code a changé », Émilie Brout et Maxime Marion, autre duo d’artistes pour évoquer leur travail. 44 minutes de discussions autour des œuvres dont le matériau est puisé sur internet.
Ces deux artistes (que nous avions interrogés pour Nichons-nous dans l’Internet) savent, remarque Xavier de La Porte, « mettre en scène » les contradictions du numérique, avec humour et créativité. Suivez Xavier dans ses réflexions et écoutez les deux artistes raconter leur travail, et interroger le monde numérique qui nous entoure.
« Quand les artistes s'emparent des questions numériques », Xavier de La Porte, 44 minutes 58
Le fait que bon nombre de nos conversations soient écrites et échangées grâce à des machines les rend plus perméables à la censure. Le contrôle par le gouvernement chinois des textes diffusés en ligne a poussé de nombreux internautes à imaginer autant de moyen de contourner cette censure.
Développé par Qianqian Ye et Xiaowei Wang, et soutenu par Mozilla’s Creative Media Award, TheFutureOfMemory.Online est un site qui propose entre autres choses un panel d’outils pour tromper les ordinateurs et les censeurs.
Convertisseur de texte en émojis, générateur d’idéogrammes, traducteur en morse sont autant d’outils et tactiques compilés ou créés par les deux artistes pour sensibiliser sur la censure gouvernementale chinoise et sur la créativité humaine et collective qui permet de s’en affranchir.
Algorithmic Censorship Resistance Toolkit, The Future of Memory Online, Qianqian Ye et Xiaowei Wang
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