Une promenade dans les archives et des internautes qui enquêtent
Katie Mackinnon réfléchit à la meilleure façon d'explorer les archives du web, proposant aux personnes concernées des promenades dans leurs propres archives. « Couch guy » revient sur son expérience.
Rencontre avec Katie Mackinnon
Katie Mackinnon a publié au printemps un article, exposant ses réflexions sur les approches éthiques vis-à-vis des archives du web, et notamment celles produites par les plus jeunes, dans le cadre de ses recherches.
Cette doctorante à l’Université de Toronto travaille sur l’utilisation d’internet par les jeunes au Canada, entre 1995 et 2005, pour « voir les différences entre les imaginaires populaires du “cyberkid” et la manière dont les jeunes se souviennent avoir grandi en ligne à l’époque », décrit-elle, par mail.
« Les plus vieux sites sur lesquels je travaille ont plus de 15 ans et étaient hébergés sur des plateformes qui n’existent plus. Les internautes interagissaient différemment en ligne à l’époque, et les infrastructures étaient aussi différentes. En archivant ce matériau, il est présenté sous la forme de flux de données qui altère les conditions dans lesquelles il a été originellement créé. »
Katie remarque que, bien souvent, ces archives ont été collectées dans l’urgence sans forcément prendre le temps d’informer les créateur·ices, ni leur demander leur avis, lorsque les sites sont menacés de fermeture, comme ce fut le cas pour Tumblr ou Geocities. « Les gens disent souvent que parce que les sites sont publics, il n’y a pas de problème éthiques », rappelle Katie, mais de nombreux travaux de recherche sont revenus de cette simple « dichotomie entre public et privé ».
Dans son article, Katie évoque le besoin de ne jamais détacher les contenus des corps qui les ont produit, s’inspirant du Feminist Data Manifest-No, qui déclare notamment : « Nous refusons de comprendre les données comme désincarnées et donc déshumanisées et génériques. Nous nous engageons à comprendre les données comme toujours et diversement attachées aux corps. »
« Pour mon travail de recherche, poursuit Katie, il est important que les personnes aient leur mot à dire sur la manière dont leurs données personnelles sont utilisées. Il est important de créer une relation réciproque avec celles et ceux qui seront le plus impacté·es par la recherche. »
Katie a ainsi développé des « promenades dans les archives » en compagnie des participant·es à son travail de recherche. « Mon approche a été de commencer par les personnes plutôt que par les données. Je recrute des participant·es qui ont de nombreux souvenirs de sites aujourd’hui fermés et qui sont curieu·ses de ce qui peut rester de leur jeunesse en ligne. »
La personne est alors placé en tant qu’expert·e de ses propres créations et données et guide la promenade, discutant avec Katie de « la trajectoire des plateformes, des souvenirs d’usages et une réflexion sur le temps passé dans ces ruines du web ».
L’histoire de… Couch guy
Sur la vidéo, on voit une femme surprendre son petit-ami en arrivant pendant une fête. Il se lève, un peu maladroitement et la prend dans ses bras. Une partie des internautes a trouvé cependant à en redire. Où sont les mains du petit-ami ? Pourquoi met-il du temps à se lever ? Que fait-il avec son téléphone ?
La vidéo originale a été vue plus de 60 millions de fois. Dans la foulée, de nombreuses vidéos sur TikTok ont parodié la situation, réalisées par des anonymes mais également par des marques. Au cœur des débats, une seule question : le jeune homme est-il fidèle à sa petite-amie ou faut-il voir dans cette vidéo la preuve de sa tromperie ? Chacun y va de son analyse avec des arrêts sur image et des zooms. La vidéo est même référencée sur Know Your Meme.
Le jeune homme en question, renommé « Couch guy » par la foule numérique, a raconté dans Slate les événements qui ont suivi la publication de la vidéo. L’image disséquée par les internautes, l’intervention des médias, les menaces physiques…
« Quand de nouveaux contenus viraux apparaîtront sur votre page “For You”, je vous implore de vous souvenir qu’il s’agit de gens et non de mystères à résoudre. Alors que les utilisateur·ices posaient une loupe collective sur Lauren, nos ami·es et moi, il semble que l’amusement déclenché par le mème a pris le pas sur notre humanité. »
Plus largement, il invite les internautes à restreindre leurs pulsions de résoudre des mystères. Et ce, malgré l’algorithme de TikTok, qui semble vouloir à tout prix présenter ces contenus à ses utilisateur·ices.
À lire, à voir
On a déjà parlé du travail effectué par la Bibliothèque nationale de France en matière d’archivage du web. Vincent Manilève revient sur le sujet en se posant une question précise : la vidéo de Michou, un jeune vidéaste, récent participant de Danse avec les stars, consacrée au Wrap McDo, est-elle sauvegardée pour les générations futures ?
Vincent répond à cette question en détail, en se faisant expliquer par les responsables des archives du web de l’INA et de la BnF comment elles fonctionnent. « Michou est donc bien préservé au sein des archives de la BnF », nous rassure-t-il, de même que dans les serveurs de l’INA. On retrouve même une La Diarrhée, une vidéo mise en ligne par Norman il y a cinq ans et dépubliée par le vidéaste quelques heures après l’avoir postée.
La liste permet de visiter ce que le web a de meilleur. Tirée de la collection personnelle de Nathalie Rosenberg, UX designer, elle aligne des sites restés fidèles aux premières années du Web mais toujours fonctionnels. Du bricolage html à la main, avec des beaux gifs, des petits sons midi et des frames dans tous les sens.
« Bievenue sur le site du cercle généalogique des cheminots… » accueille par exemple ce site hébergé par Free vieux d’une dizaine d’années, d’une voix forte et claire. « Ces sites correspondent à ma “jeunesse” internet et font partie de l'histoire du web. Certains n'ont pas bougé depuis plus de 20 ans, d'autres ont été conçu ainsi plus tard », raconte Nathalie. Certains ont été désactivés depuis, « ainsi va le web ».
Un dernier pour la route
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