Des femmes sur internet et un artiste fana de surveillance
Bref retour dans vos boîtes pour vous partager quelques onglets ouverts récemment, de la série de Gabrielle Stemmer à un coup de gueule contre un artiste qui tombe dans l'apologie de la surveillance.
Des femmes sur internet
On connaît Gabrielle Stemmer pour Clean with me (After dark), son essai vidéo sur les femmes au foyer américaines qui se filment en train de nettoyer leur maison. Elle récidive avec Femmes sous algorithmes, en plongeant en cinq épisodes dans les injonctions faites aux femmes en ligne, co-écrits avec Titiou Lecoq.
En plus du nettoyage, qui devient un art de vivre, la série raconte à partir de nombreuses vidéos existantes le bullet journal ou le miracle morning. Avec la même idée sous-jacente : ce qu’on décrit comme une nouvelle mode ou l’incontournable méthode devient rapidement une injonction faite aux femmes, et un passe-temps chronophage.
Les épisodes plongent avec ironie dans la spirale de Youtube et montrent comment on peut passer en quelques minutes d’un tuto pour se tirer un trait au-dessus des yeux à des vidéos de promotion de chirurgiens esthétiques, en passant par des conseils maquillage dispensés « pour la rentrée au collège ». À voir !
L’histoire de… un artiste accro à la vidéo-surveillance
Depuis plusieurs années, j’ai mis de côté le nom de Dries Depoorter, avec l’idée de me pencher sur son travail. L’artiste explore notre relation avec la technologie sous diverses formes. Mais à trop vouloir expérimenter et prévenir sur les dangers de la reconnaissance automatique de visage, la vidéosurveillance, ne contribue-t-il pas à son développement ?
Dries Depoorter a ainsi créé The Flemish Scrollers, un algorithme qui détecte les personnalités politiques rivées à leur téléphone pendant les réunions du gouvernement flamand. Chaque politique reçoit un tweet de rappel à l’ordre, l’intimant à rester concentré. Il avait également capturé des images de piéton traversant malgré le petit bonhomme rouge.
Plus récemment, cet automne, il a mis en ligne The Follower. Avec les flux de caméras de vidéosurveillance disponibles en ligne et un petit logiciel d’identification de visage, il a retrouvé les coulisses de plusieurs posts sur Instagram, partagé par des inconnu·es. Les coulisses et la photo ont ensuite été mises en ligne par l’artiste, sur Youtube ou Twitter.
Jusqu’où peut-on jouer avec la vie privée des gens au nom de l’art ? Sous couvert de prévenir des dangers de ces technologies, Dries Depoorter en abuse, sans se prévaloir du consentement de ses modèles. Plusieurs ont découvert le projet à l’occasion de ses reprises dans la presse… « Ils ont posté les images en ligne », se justifie l’artiste interrogé par Input.
« N’importe quel projet utilisant de l’intelligence artificielle et des caméras de vidéosurveillance en accès libre peut, malheureusement, renforcer l’état sociétal de surveillance qui peut mettre certaines personnes en danger », s’inquiète la chercheuse Francesca Sobande auprès d’Input. « On n’entre pas par effraction chez quelqu’un juste pour montrer qu’on peut le faire, sauf s’ils vous l’ont demandé », renchérit Suresh Venkatasubramanian, professeur à l’Université de Brown, interrogé par le New York Times.
À lire
Dans Technoféminisme, comment le numérique aggrave les inégalités, Mathilde Saliou explore la place des femmes dans le monde numérique : celle qu’on leur laisse, celle qu’on leur prend, celle qu’elles se font. Elle propose des portraits de femmes pionnières du numérique et explique pourquoi les femmes sont victimes des algorithmes et du harcèlement en ligne.
Technoféminisme, comment le numérique aggrave les inégalités, Mathilde Saliou, Grasset et Fasquelle, 2023
Un dernier pour la route
Le site dancegreetings.com renouvelle l’exercice des messages chantés. Il propose une mise en relation avec des danseurs dans le monde entier, qui contre un peu d’argent, enregistrent dans une vidéo une danse, accompagnée d’un message. Quoi de mieux pour célébrer une vasectomie ?
Bien sûr, comme d’habitude avec ces services, au début, on se dit que c’est drôle et que c’est la magie d’internet. Et ensuite, on s’interroge sur la juste rémunération des danseurs – que je ne peux pas garantir – ou des considérations géopolitiques…