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🖋 L'internet d'Alice Zeniter et le temps d'une pause

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🖋 L'internet d'Alice Zeniter et le temps d'une pause

Alice Zeniter parle d'internet dans ses deux derniers livres et nous en parle. Je vous propose aussi une pause, grùce à deux artistes et un entrepreneur, qui prendra tout votre écran.

Dec 17, 2020
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🖋 L'internet d'Alice Zeniter et le temps d'une pause

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arobase, c’est chaque semaine une rencontre avec celles et ceux qui font internet (artistes, vidĂ©astes, chercheuses et chercheurs, journalistes) ; des pĂ©pites, souvenirs de temps passĂ© sur internet ou documents originaux ; des rendez-vous de choses Ă  voir et Ă  Ă©couter.

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🖋 Rencontre avec Alice Zeniter

Dans Comme un empire dans un empire, Alice Zeniter explore ce qu’est l’engagement en 2020, et les multiples formes qu’il peut prendre. On suit notamment L, hackeuse Ă©mĂ©rite, dans des allers-retours entre le « dedans » et le « dehors ». Ce « dedans », c’est internet ; L y passe de nombreuses heures pour disserter, aider des femmes cyber-harcelĂ©es par leur ex ou participer Ă  des opĂ©rations de riposte en ligne.

Cablegate : Pourquoi un tel malaise ? – ☠ Bluetouff's blog
L participe notamment Ă  l’opĂ©ration « Payback », lancĂ©e aprĂšs l’interdiction de plusieurs services Ă  Wikileaks, dont Visa

Dans ce livre, comme dans le prĂ©cĂ©dent, L’Art de perdre, qui avait d’ailleurs reçu le Goncourt des lycĂ©ens, internet est une prĂ©sence ou un lieu Ă©chappatoire. J’ai donc posĂ© quelques questions Ă  Alice Zeniter sur sa vision d’internet et l’utilitĂ© de ce rĂ©seau dans ses romans. Elle dĂ©taille, par mail :

« Internet est Ă  la fois un espace (le “dedans” de L dans Comme un empire, l’étal de la mĂ©moire collective qui remplace les rĂ©cits familiaux pour NaĂŻma dans L’Art de perdre) et un marqueur temporel, presque un effet de rupture entre les gĂ©nĂ©rations. »

Dans L’Art de perdre, NaĂŻma se plonge dans internet – « l’étal de la mĂ©moire collective » – avant de partir en AlgĂ©rie, rĂ©alisant qu’elle n’en a appris que trĂšs peu sur ce pays dont vient sa famille paternelle. Elle y passe ses nuits, errant, jusqu’à en avoir les yeux qui piquent Ă  la recherche de vidĂ©os, de liens, de textes.

Les nuits dĂ©sormais se ressemblent : elle ne reste pas prendre un verre avec Kamel et Élise au sortir de la galerie, elle n’appelle personne et ne rĂ©pond pas non plus aux textos de Christophe qui parviennent Ă  se faire insistant tout en restant lapidaires. elle reste chez elle Ă  regarder des documentaires sur Youtube en mangeant de la bouffe chinoise achetĂ©e au traiteur d’en bas.

L’Art de perdre, Flammarion, 2017

Alice se rappelle : « Cette scĂšne reproduit le dĂ©sarroi dans lequel me plongeait mes premiĂšres recherches pour le roman. Et, comme NaĂŻma, je me suis dit que je reviendrai glaner des informations en ligne un peu plus tard, et qu’il valait mieux commencer par les livres – pour ne pas entendre Ă  la fois trop de voix discordantes. »

Sur les sites amateurs, les photos de l’AlgĂ©rie avant 1962 cĂŽtoient les publications « nostalgiques » sur l’OAS

Les voix discordantes sont en effet nombreuses en ligne à propos des liens entre Algérie et France. Dans un entretien donné à Mediapart, Alice constate que les souvenirs présents en ligne sont entre les mains des pieds-noirs :

« C’est sur leurs pages Facebook et leurs sites web que tu trouves les photos des villages et des Ă©coles de l’époque. J’ai trouvĂ© un reportage de l’INA sur les camps de harkis dans le sud de la France. Le reportage est raciste, il est plein de commentaires racistes. Les seules photos de famille que j’aie, elles sont entre les mains du vieil oncle raciste et je ne peux pas avoir ces photos sans les commentaires qui vont avec. »

La solution, face Ă  ces prĂ©sences inopportunes, rĂ©siderait peut-ĂȘtre dans des espaces protĂ©gĂ©s, selon Alice : « Je partage assez la vision de L sur le fait qu’il existe des petits territoires qui doivent ĂȘtre dĂ©fendus pour rester nĂŽtres : c’est-Ă -dire hors d’atteinte des agressions mais aussi du recel de nos donnĂ©es. Le problĂšme, c’est qu’il est assez facile d’avoir l’illusion qu’un forum, un rĂ©seau social, un site, un fil de conversation ou une rĂ©union Ă  plusieurs en ligne est un Ăźlot familier, ami, une bulle. »

http://www.geocities.com/sunsetstrip/palms/9245/page8.html

L’autrice est nĂ©e en 1986, et – comme de nombreuses personnes de son Ăąge, je crois – a avec internet une relation particuliĂšre : « Dans Jusque dans nos bras, j’ai Ă©crit “Je fais partie de la gĂ©nĂ©ration qui n’est pas nĂ©e avec Internet mais qui a grandi avec lui. J’ai un lien si tendre avec Internet”. Cette phrase me paraĂźt toujours fonctionner dix ans plus tard. »

« J’ai cru qu’Internet Ă©tait un territoire fini dont je pourrais un jour avoir fait le tour (et d’ailleurs j’essayais d’épuiser tel ou tel sujet, comme les Spice Girls ou Escaflowne). Et, d’une certaine maniĂšre, il m’arrive d’avoir la nostalgie de ces premiers temps d’internet parce que ça avait alors une existence concrĂšte et revĂȘche : c’était lent, c’était bruyant des bips du modem, c’était minutĂ© et circonscrit, ça demandait une sĂ©rie d’actions si compliquĂ©es pour ĂȘtre atteint qu’on ne pouvait pas les rĂ©aliser sans s’en rendre compte
 »

Au-delĂ  de la nostalgie intrinsĂšque, internet peut aussi ĂȘtre une source de rĂȘverie et de poĂ©sie, sans mĂȘme avoir Ă  s’intĂ©resser Ă  son contenu. Ainsi, alors que L ouvre une connexion VPN pour Isabelle, les deux choisissent avec soin la localisation du-dit VPN. Elles Ă©grĂšnent les villes et les souvenirs associĂ©s, avant de se dĂ©cider pour Grenade, en Espagne, « parce que le printemps parisien n’était pas encore arrivé ».

Isabelle rĂȘvait que sa fille, ou les Russes, ou le monde entier, en tentant de localiser sa machine, l’imaginent assises Ă  une petite table au plateau de mosaĂŻque dans le quartier d’AlbaicĂ­n, les lĂšvres rendues huileuses par les poivrons farcis.

Comme un empire dans un empire, Flammarion, 2020

🧘PĂ©pites

Chaque semaine, je vous propose des pépites, souvenirs de temps passé sur internet ou documents originaux.

Quand on a les yeux qui piquent soit Ă  cause d’un trop plein d’internet, soit Ă  cause d’une mauvaise journĂ©e, on a deux choix : continuer Ă  creuser, s’épuiser les yeux encore plus malgrĂ© les lunettes aux reflets adaptĂ©s, ou prendre un peu de recul.

Les artistes Romi Ron Morrison et Loren Britton ont créé Soundings, un bookmarklet qui transformera n’importe quelle page en espace de dĂ©tente et de rĂ©flexion, commandĂ© par Kunsthalle Amsterdam et Alt_Cph_2020.

« Ce bookmarklet est une invitation que nous vous faisons d’interrompre volontairement votre navigation web, et de ralentir. Dans quelles mesures vĂ©rifiez-vous comment vous allez lorsque vous lisez les infos ? Lisez un mail ? Regardez une vidĂ©o ? Comment vous sentez-vous ? Et comment votre corps se sent ? Nous vous invitons Ă  le vĂ©rifier. »

Des pinceaux qui distillent un peu de peinture à l’eau, une musique douce, des lectures d’Audre Lorde ou d’Alexis Pauline Gumbs, deux autrices noires... Tout ça, accessible en un clic, depuis n’importe quelle page sur laquelle vous vous trouvez.

Ce dispositif n’est pas le seul Ă  nous pousser Ă  faire une pause. On se souvient notamment de donothingfor2minutes.com, qui propose un paysage marin, des sons de vagues et un dĂ©compte de deux minutes qui recommence si jamais la souris est bougĂ©e ou le clavier est utilisĂ©. Le site avait Ă©tĂ© lancĂ© en 2011 et avait Ă©tĂ© accueilli avec enthousiasme par les commentateurs de l’époque, tentant de relever le dĂ©fi.

Je dĂ©couvre que le site a Ă©tĂ© créé comme un side-project et « une mĂ©ditation sur la maniĂšre dont la technologie change la maniĂšre dont nous pensons et nous comportons », par Alex Tew, crĂ©ateur de The Million Dollar Homepage (dont je vous parlais dans le neuviĂšme numĂ©ro de Nichons-nous dans l’Internet). Il a depuis lancĂ© Calm, et a opportunĂ©ment transformĂ© la blague en une promotion de l’application, dĂ©diĂ©e Ă  la mĂ©ditation.

À Ă©couter

Bertrand Burgalat enchante parfois quelques moments de ma vie ; notamment grĂące Ă  Virginie Despentes qui met dans les oreilles de son hĂ©ros Aux Cyclades Ă©lectroniques. Dans Vous ĂȘtes ici, sorti en avril, il raconte notamment nos vies sous l’Ɠil des applis.

Vous ĂȘtes ici, c'est Google Earth qui le dit
Vous ĂȘtes lĂ , sous la Grande Ourse

Vous ĂȘtes ici s’accompagne d’un clip sous forme de voyage, rĂ©alisĂ© avec les outils de Google – Maps et Street View – par BenoĂźt Forgeard et Natacha Seweryn.

  • Vous ĂȘtes ici, Bertrand Burgalat, clip rĂ©alisĂ© par BenoĂźt Forgeard et Natacha Seweryn, avril 2020

Tumblr héberge encore quelques utilisateurs et des images intéressantes. Son rachat par Yahoo! a néanmoins freiné la créativité de la plateforme et a fait partir de nombreux fans. Yahoo!, qui a déjà tué Geocities, a achevé Tumblr, notamment en contrÎlant drastiquement les contenus pornographiques.

Morgane Tual, journaliste à Pixels, discute avec Lucie Ronfaut pour Programme B de cette plateforme prometteuse dont le rachat a signé la fin. La plateforme appartient désormais à Automattic, qui développe Wordpress.

  • Tumblr, dernier bastion du web, Programme B, dĂ©cembre 2020

📣 On parle de nous

Dans Papillotes, la newsletter de Nicolas Frespech, arobase est citĂ©e comme « une infoliste qu'on adore ». Est fait notamment rĂ©fĂ©rence Ă  ce que je racontais sur la fin de Flash, qui se rapproche. Merci Ă  Nicolas et faites comme lui : n’hĂ©sitez pas Ă  parler d’arobase et Ă  en dire du bien. 💞

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