La construction en ligne des personnes trans
Avery Dame-Griff travaille sur la construction des personnes trans grâce aux communautés en ligne. Nous parlons aussi des hésitations d'OnlyFans quant aux contenus pornographiques.
C’est notre rentrée ! J’espère que l’été a été reposant et riche pour chacun et chacune.
Rencontre avec… Avery Dame-Griff
Il y a quelques semaines, Avery Dame-Griff a raconté, dans The Conversation, comment internet aidait les personnes trans à se rencontrer et à se construire, et ce dès les premiers jours des réseaux. Il est professeur assistant à l’Université de l’État de Washington mais aussi créateur du Queer Digital History Project, qui archive les lieux d’échanges et de discussions en ligne des communautés queer avant 2010.
« Avant internet, entrer en contact avec la communauté trans pouvait être compliqué, rappelle Avery Dame-Griff, avec qui j’ai échangé par mail. On devait connaître quelqu’un qui connaissait quelqu’un, avoir un thérapeute qui connaissait les bonnes associations ou tomber sur des informations à ce sujet à la bibliothèque. » Il évoque par exemple Tri-Ess : l’association américaine utilisait les registres des bibliothèques pour glisser leur numéro de téléphone à côté des fiches pouvant intéresser les personnes transgenres ou travesties. Il poursuit :
« J’ai développé dans mon livre l’idée qu’être adolescent et s’identifier comme une personne trans n’est devenu possible que parce qu’internet permet aux adolescents trans de se connecter les uns avec les autres et de confirmer leur identité pendant leur adolescence. »
Les échanges avaient lieu dans de nombreux espaces, évoluant au fil des usages. Avery Dame-Griff cite pêle-mêle un serveur sur le Minitel, 3615 TRANVLAND, des annuaires sur Geocities ou des groupes sur Flickr ou AOL. Il explique pourquoi internet est une technologie idéale : « Grâce à mes recherches, j’ai identifié que la vitesse, l’accessibilité et l’anonymat sont trois facteurs importants. Par rapport à une lettre imprimée qui met plusieurs semaines à arriver à destination, un email peut atteindre son public en quelques heures, puis en quelques minutes. Il réduisait également les chances d’être outé. »
Dans un long article sur les premiers pas de l’internet trans, publié par Gizmodo, Gwendolyn Smith, créatrice du chat « The Gazebo » sur AOL, raconte que la plateforme mettait automatiquement en privé les échanges où les mots « transsexuel » ou « travesti » apparaissaient. Il fallait donc s’adapter et lutter contre les modérateurs qui bannissaient le chat. Ce n’est qu’à la suite de courriers au patron d’AOL que le bannissement a été définitivement levé, en 1994.
Ce progrès numérique n’est pas cependant pas à la portée de tous. « Depuis le départ, une partie de la communauté trans a été exclue, remarque Avery. Une grande partie des communautés étaient constituées par des personnes ayant accès à un ordinateur et sachant le maîtriser. » Ce qui pouvait représenter un investissement important aux premières heures des réseaux. « Ces espaces étaient également majoritairement anglophones et implicitement blancs », ajoute-t-il, évoquant un texte écrit en 2001 par Isabel Tamara, dans la revue Transgender Tapestry. Elle y raconte qu’elle a pu s’informer depuis le Mexique sur sa transidentité grâce à Internet, mais seulement parce qu’elle maîtrisait l’anglais.
Internet n’a pas eu que des effets positifs, remarque Avery Dame-Griff. Il a aussi conduit à la perte d’influence de plusieurs associations alors que leurs actions ont été petit à petit remplacées par internet. Et aujourd’hui, « les utilisateurs trans dépendent de quelques plateformes comme seul moyen de se rassembler ». Et ce, au bon vouloir des plateformes, et au gré de l’évolution de leurs conditions d’utilisation.
Dans un prochain numéro d’arobase, nous poursuivrons la conversation avec Avery Dame-Griff, sur l’archivage de l’histoire queer en ligne. Nous essaierons aussi prochainement de raconter un point de vue plus français. Le Wiki Trans, centre de ressources en ligne lancé en 2018, fourmille d’informations pour les personnes trans et leurs proches.
L’histoire de… James, créateur sur OnlyFans
James a créé un compte sur OnlyFans en janvier 2020. Ce Français, âgé de moins de 30 ans, partage des photos et des vidéos à ses abonné·es, pour 12 dollars par mois. Il a rencontré une femme, Lola, professeure de surf en juillet 2020 et quelques semaines plus tard, ils ont ouvert un autre compte sur OnlyFans où ils publient notamment des photos et vidéos de leurs ébats amoureux contre 20 dollars mensuels.
OnlyFans s’est lancé en 2016 et a gagné de nombreu·ses utilisateur·ices à partir du premier confinement : des travailleurs·ses du sexe s’y sont déporté·es quand le monde extérieur n’était plus fréquentable, des spectateur·ices ont suivi.
James a commencé à filmer ses ébats avec sa précédente compagne, proposant notamment, sur PornHub, des vlogs de voyage avec quelques séquences pornographiques. Ils étaient également sur Instagram – deux comptes en cas de bannissement, fréquent avec les photos dénudées – ou encore sur YouTube, avec des vlogs plus traditionnels. Ils se décrivaient comme « créateurs » à Libération : « On veut juste être multiplateformes. »
Il y a quelques jours sur leur compte OnlyFans, James a publié un message : « Lola et moi sommes en train de chercher des plateformes alternatives et nous préparer à ce changement, pour que la transition pour celles et ceux qui souhaitent rester avec nous soit aussi tranquille que possible.»
Courant août, OnlyFans a annoncé modifier ses conditions d’utilisation. Le site, qui s’est construit grâce aux travailleur·ses du sexe, leur demande désormais d’adoucir leurs contenus. Un nettoyage poussé par leur souhait d’attirer les investisseurs, et par MasterCard, leur prestataire de paiements en ligne, qui impose une forte régulation sur les transactions financières autour des contenus « pour adultes ». OnlyFans a depuis fait machine arrière, mais les créatrices et créateurs sont nombreux à être déçu·es.
«OnlyFans ne sera pas toujours là. C’est toujours frustrant de s’investir sur une plateforme, de participer à sa réussite et d’en être chassés. Mais c’est comme ça que ça se passe dans le travail du sexe. Un jour, on ira ailleurs et on recommencera », prévenait déjà, il y a quelques mois, la créatrice Vex Ashley, interrogée par Libération.
Elle s’agaçait, le jour de l’annonce de la modification des conditions d’utilisations, de « rendre riche un mec de la tech » avant d’être chassée « des espaces construits sur le dos » des travailleur·ses du sexe. « Nous voulons simplement pouvoir travailler en paix », concluait-elle.
« On dirait qu’OnlyFans est revenu sur sa mise à jour, a déclaré James sur son compte perso. On peut tous rester ici et continuer à s’amuser avec du contenu “NSFW” ! Je continue à chercher d’autres options et d’autres plateformes et aurai un “plan B” prévu si jamais ça recommençait dans le futur. »
À lire
Nous avons déjà parlé des vidéos de feux de bois publiées sur Youtube et populaires lorsque l’hiver revient. Thibault Prévost s’est concentré pour Pixels, sur une sous-catégorie : celles qui reproduisent des univers fictifs, tel celui d’Harry Potter ou de Star Wars ou encore de jeux vidéo.
Ces vidéos, avec une musique relaxante ou de l’ASMR, sont populaires notamment pour accompagner les révisions. Mais les vidéos s’inspirant d’univers existants font face à une censure commerciale : celle des robots de Youtube et des ayants-droits, qui suppriment tout ce qui peut entrer dans leur champ de vision.
« Nintendo a fait supprimer toutes mes vidéos, une fois de plus », se plaignait Tenpers sur sa chaîne. Les studios ont cependant vu l’intérêt de ces nouveaux formats, puisque certains publient des vidéos « officielles ».
« Harry Potter », « Star Wars », « Zelda »… dans les mondes imaginaires (et relaxants) de YouTube, Thibault Prévost, Le Monde, juillet 2021