👀 Une histoire d'internet vu par les internautes et la fin de Yahoo! Answers
Dans « Lurking », Joanne McNeil explore les communautés en ligne et démontre leur mépris des internautes. La fermeture de Yahoo! Answers n'est qu'un exemple de plus.
👀 Rencontre avec Joanne McNeil
C’est une histoire d’internet racontée du point de vue des internautes. En repartant de ses premières connexions et ses discussions sur AOL jusqu’à l’apparition de Friendster, ou quelques années plus tard de l’éphémère Ello, en passant par l’apparition de hashtags militants sur Twitter, Joanne McNeil propose dans Lurking, How a Person Became a User (MCD Books, 2020, non-traduit) de comprendre comment internet, et le web, sont devenus ce qu’ils sont aujourd’hui.
Alors que les premières années du web sont souvent racontées avec nostalgie, le livre de Joanne McNeil remet les choses en place. « Dans Lurking, je rappelle un certain nombre d’opportunités ratées tout au long du développement d’internet, explique Joanne, par mail. Beaucoup des conversations autour des premières expériences en ligne sont submergées de nostalgie, surtout pour une génération d’internautes plus agés. Mais le livre montre que ce n’était pas une utopie pour les internautes d’alors. »
Elle remonte à ses premières années en ligne, au début des années 2000, pour retracer comment, petit à petit, les sites sont passés d’un espace offert aux internautes pour se présenter, pour se raconter, à un espace de marchandisation de ce que faisaient les internautes. On découvrira le réseau social Echo, qui rassemblait quelques New-Yorkais et on se remémorera les batailles de certains réseaux sociaux contre les pratiques de leurs utilisateurs, comme l’adoption de pseudonymes, ou la création de compte fantaisistes.
La différence entre les sites d’hier et la situation aujourd’hui tient à l’importance prise par des entreprises comme Facebook et Google. Plus que de la nostalgie, Joanne recommande donc de la créativité dans le choix des espaces d’échanges en ligne1. Dans son livre, elle met en garde : « Nous pouvons créer des espaces pour nous et nos ami·es et les appeler des “safe spaces” ou des “sanctuaires”, mais pour quelle utilisation si des gens partageant les mêmes idées en sont tenus éloignés ? »
Contre Facebook, elle ne mâche pas ses mots. Elle ne voit rien de bien dans le réseau social, rien à garder du conglomérat numérique. « Facebook est libre dans le sens où Mark Zuckerberg est libre de déposer ses ordures dans votre jardin. Il a manipulé les gens pour adopter sa plateforme et désormais, c’est quasi-impossible pour les utilisateurs de se regrouper ailleurs sans une énorme perturbation dans les communes, les groupes ou les organisations », ajoute-elle par mail.
« J’ai réalisé que le web pour lequel j’étais nostalgique pendant quelques instants n’a jamais vraiment existé… »
Lurking, par cette remontée dans le temps à la recherche de ce qui est cassé, nous montre à quel point tout est biaisé depuis le départ. Les communautés en ligne rassemblant des personnes non-blanches sont moins bien financées, dès le départ. Les communautés ne s’adressant pas d’abord aux plus aisés, ou au plus diplômés, rencontrent le dédain, comme Myspace face à Facebook…
L’arrivée d’un nombre important de personnes sur Facebook, Google ou Twitter, remarque Joanne McNeil, c’est comme si on faisait entrer tous les habitant·es du monde dans un ascenseur : « Les gens rejetteraient sur les autres personnes la faute de leur inconfort, au lieu de s’en prendre à l’ascenseur lui-même, ou à son propriétaire… » Tous les éléments sont là, il faut simplement les reprendre en main.
Pépites
Chaque semaine, je vous propose des pépites, souvenirs de temps passé sur internet ou documents originaux.
Voilà un autre service construit avec ses utilisateur·ices, ensuite méprisé·es par son opérateur. Depuis le 4 mai, le service Yahoo! Answers est fermé. Sans surprise avec Yahoo!, l’ensemble des questions et des réponses sont désormais inaccessibles. Chaque utilisateur peut, d’ici à la fin du mois de juin, télécharger ses participations sur la plateforme, mais pour les autres, tout a disparu2.
Dans le Guardian, Joanne McNeil décrit Yahoo! Answers comme un retour du moteur de recherche à ses premières amours : « Google avait le moteur de recherche le plus puissant, mais Yahoo! s’est fait connaître grâce à son répertoire de liens réalisé par des humains pour d’autres humains. De la même manière, sur Yahoo ! Answers, des humains plutôt que des algorithmes proposaient des informations et les vérifiaient les uns pour les autres. »
Ryan Broderick s’est intéressé de son côté à AuntKatie, l’utilisatrice la plus prolixe sur Yahoo ! Answers, et une référence du réseau. Elle a posté plus de 140 000 réponses avec sagesse et humilité. « Ces situations sont toujours plus compliqués qu’un petit paragraphes ici sur Yahoo! Answers, répond-elle à un internaute qui lui demande nommément un conseil sur sa relation avec sa mère. Essayez de parler d’abord avec votre maman et dites lui ce que vous ressentez, et si ça ne marche pas, trouvez quelqu’un dans votre entourage à qui vous pourriez en parler, un adulte de confiance ou un proche. »
« Je ne pense pas qu’elle était sur Yahoo! Answers par accident. Ce n’était pas un site qui avait une réelle valeur sociale. Personne n’obtient de réduction grâce à lui », note Ryan, s’interrogeant sur ce que serait un internet avec plus d’utilisateur·ices comme AuntKatie. Joanne McNeil conclut : « Les personnes sur Yahoo! Answers étaient de simples utilisateur·ices ; il n’échangeaient pas avec les patrons de Yahoo!. Il n’y avait pas de canal de communication entre eux pour décider de certaines choses, par exemple la façon dont pourraient être archivées toutes les informations du site. »
À voir
Alors que les restrictions liées à la crise sanitaire se sont assouplies hier, il est temps de retrouver des lieux physiques. A partir du 18 mai, vous pouvez visiter Blackscreen_ Issues_Sleeping_Displays, fruit d’une année de résidence de Carin Klonowski à la galerie Glassbox, à Paris. Une réflexion sur l’obsolescence des écrans, et les fantômes qu’ils conservent en eux.
Carin Klonowski a démonté, désossé, dénudé et retravaillé des écrans LCD pour les mettre en vedette de l’exposition dans de nouveaux écrins de lumière et de tissu. Cet environnement accueille des œuvres d’artistes proches de Carin Klonowski, avec qui elle a échangé tout au long du projet.
Blackscreen_ Issues_Sleeping_Displays, Carin Klonowski, du 20 mai au 4 juin, Galerie Glassbox, Paris
En parallèle à son exposition consacrée aux femmes dans l’art abstrait, visible depuis le 19 mai à Beaubourg, le Centre Pompidou propose Sans objet, une exposition complètement en ligne. Neuf œuvres, réalisées entre 1998 et 2016, expérimentent l’art abstrait dans l’espace confiné de l’ordinateur.
Moving Paintings, triptyque numérique d’Annie Abrahams, côtoie Web-Safe de Juha van Ingen une réflexion sur la liberté en ligne, et la standardisation, autour des 212 couleurs que pouvaient reproduire les premiers navigateurs web. Ces œuvres, qui tiennent dans une fenêtre de navigateur, sont en plus présentées dans une petite vidéo par Philippe Bettinelli, le commissaire de l’exposition.
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Pour vous aider, le site Run your own social, par Darius Kazemi, propose quelques pistes pour créer des micros réseaux sociaux.
L’Archive Team a lancé quelques opérations de sauvegarde, et le site peut encore être retrouvé sur Web Archive, mais rien de très intuitif…