arobase

Share this post

đŸČ Les trolls de Caroline Delieutraz et des stars Ă  la demande

arobase.substack.com

đŸČ Les trolls de Caroline Delieutraz et des stars Ă  la demande

Caroline Delieutraz a reconstitué les méfaits d'un troll en ligne en fouillant son disque dur. Cameo permet d'accéder à des stars en vidéo pour quelques dollars, des trolls russes s'en sont emparé.

Jan 21, 2021
1
Share this post

đŸČ Les trolls de Caroline Delieutraz et des stars Ă  la demande

arobase.substack.com

arobase, c’est chaque semaine une rencontre avec celles et ceux qui font internet (artistes, vidĂ©astes, chercheuses et chercheurs, journalistes) ; des pĂ©pites, souvenirs de temps passĂ© sur internet ou documents originaux ; des rendez-vous de choses Ă  voir et Ă  Ă©couter.

đŸČ Rencontre avec Caroline Delieutraz

Caroline Delieutraz a rĂ©cupĂ©rĂ© il y a quelques annĂ©es le disque dur d’un homme qu’elle appelle AurĂ©lien. En 2019, elle prĂ©sentait dans l’exposition When We Were Trolls le fruit de son exploration particuliĂšre ; AurĂ©lien Ă©tait un troll autoproclamĂ© et cyberharceleur assumĂ©.

À la galerie 22,48m2, qui exposait ses Ɠuvres, l’espace Ă©tait occupĂ© par des existences sans corps. Seul des masques difformes reliĂ©s Ă  des chaussures se mettaient en travers du visiteur. Peut-ĂȘtre une maniĂšre de rappeler que les fantĂŽmes numĂ©riques anonymes laissent toujours des traces bien physiques.

Trolls Just Want To Have Fun, Ɠuvre de Caroline Delieutraz, en collaboration avec Vincent Kimyon, photo AurĂ©lien Mole

Les traces Ă©taient Ă©talĂ©es sur les murs, sous diffĂ©rentes formes. Caroline a agi comme une enquĂȘtrice, dissĂ©quant le disque dur d’AurĂ©lien, recrĂ©ant ses mĂ©faits, exposant son tĂ©moignage. Une vidĂ©o montre ainsi les prĂ©paratifs pour torturer des internautes, les photomontages, les plans d’attaques, les discussions ou les tentatives de piratage de comptes des victimes


Swipe Dream, Caroline Delieutraz, photo d’AurĂ©lien Mole

Une autre vidĂ©o recrĂ©e une nouvelle abandonnĂ©e dans l’ordinateur, oĂč AurĂ©lien s’imagine « en hĂ©ros destructeur, faisant rĂ©gner la terreur pour le compte de dĂ©esses, dans un univers intergalactique oĂč les vaisseaux sont appelĂ© “Forum” », comme le dĂ©crit Caroline.

Les Ă©changes entre Caroline et le troll sont rĂ©incarnĂ©s, grĂące au masque d’un personnage d’animation et une synthĂšse vocale. « Troller est un sacerdoce, une abnĂ©gation, une libertĂ© d’esprit absolument inconditionnelle », se vante ainsi AurĂ©lien, sans grande Ă©motion, mais semble-t-il beaucoup de fiertĂ©, persuadĂ© de son intelligence supĂ©rieure.

La visite de l’exposition n’était pas particuliĂšrement agrĂ©able. J’ai eu l’impression d’en ressortir poisseux, d’avoir vu une glorification de ces agissements. « Je n'ai pas cherchĂ© Ă  Ă©viter l'inconfort, me racontait Caroline Delieutraz il y a plusieurs mois. Je pense que beaucoup de visiteurs l'ont ressenti, et moi aussi en parcourant pendant des semaines ce disque dur. J'ai essayĂ©, sans prendre position, de proposer une forme de dĂ©cryptage qui, de mon point de vue, contribue Ă  neutraliser le pouvoir de nuisance des trolls. »

Hier, par mail, elle confirme ces propos, les prĂ©cisant avec une citation de l’historien Christian Ingrao, spĂ©cialiste de l’histoire du nazisme : « Je suis persuadĂ© que si on veut comprendre la violence, il faut s'intĂ©resser Ă  ceux qui la commettent et non Ă  ceux qui la subissent. »

Elle ajoute par ailleurs, que travailler sur cette exposition lui a permis de mieux comprendre certains comportements en ligne : « Je comprends mieux les mécanismes du harcÚlement en ligne et surtout l'imaginaire et les mythes qui le porte. Je comprends mieux comment s'articulent harcÚlement en masse, fake news, théories complotistes, mécanismes de captation de l'attention par les plateforme et comment cela entraßne une polarisation de la société et finalement une crise de la démocratie ! »

Se trouver au milieu de traces de tortures, prodiguĂ©es en ligne, pour le seul divertissement n’était pas de tout repos. Le web est exposĂ© dans ses dĂ©tails les plus glauques, pour mieux les dissĂ©quer.

Pépites

Chaque semaine, je vous propose des pépites, souvenirs de temps passé sur internet ou documents originaux.

Pour proposer des vƓux originaux et « faire le buzz », les commerçants bastiais ont dĂ©pensĂ© un peu plus de 320 euros : ils ont demandĂ© Ă  Chuck Norris de dire « Pace e salute » devant une camĂ©ra, en passant par Cameo.

Cette plateforme, qui existe depuis quelques annĂ©es, propose des interactions vidĂ©os – messages enregistrĂ© ou Zoom – avec des gens suffisamment connus pour que d’autres soient prĂȘts Ă  dĂ©penser un peu d’argent. La plateforme prend une commission sur toutes les ventes.

Il y a quelques annĂ©es, nombreux furent les grincements devant les vidĂ©os dĂ©dicacĂ©es, contre une poignĂ©e d’euros, par Tibo Inshape – dont nous vous parlions dans un prĂ©cĂ©dent numĂ©ro. GrĂące Ă  une discussion sur JeuxVideo.com, on dĂ©couvre par exemple la vidĂ©o que Tibo Inshape a rĂ©alisĂ©e pour le pot de dĂ©part de ClĂ©ment, pour 36 euros.

Dans une vidĂ©o Ă©voquant ses revenus, Tibo Inshape balayait les critiques : « Certaines personnes peuvent s’offusquer du prix, mais faire payer, c’est le seul moyen de contrĂŽler un petit peu
 (
) Si ce n’est pas gratuit, ça sera toujours trop cher. (
) Le plus important pour moi, c’est que les personnes qui reçoivent ces vidĂ©os soient contentes. » 

Il a fallu une pandĂ©mie et plusieurs crises pour que le regard change sur ces pratiques et qu’on cĂ©lĂšbre la crĂ©ativitĂ© du capitalisme, et les bienfaits de la technologie pour enrichir la palette des relations entre cĂ©lĂ©britĂ©s et fans.

Cameo est nĂ©e en 2016 Ă  Chicago, fondĂ© par Steven Galanis et Martin Blencowe, ancien manageur en NFL, la ligue amĂ©ricaine de football. Elle propose aujourd’hui une interaction vidĂ©o avec plusieurs milliers d’acteurs et actrices, des sportifs, des protagonistes de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© voire des suprĂ©macistes blancs comme Gavin McInnes, le crĂ©ateur des Proud boys, avant la suppression de son compte dĂ©but janvier.

« L’enjeu n’est pas de gagner de l’argent, mais d’exister mĂ©diatiquement. Plus vous exister, plus c’est rentable, et inversement », analyse Virgile Caillet, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral d’Union sport cycle et spĂ©cialiste en mĂ©diatisation du sport, interrogĂ© par Ouest-France. Il y voit d’ailleurs le signe d’une Ă©volution de la rĂ©ception du sport, du direct au story-telling. La plateforme surfe donc sur la transformation de ces cĂ©lĂ©britĂ©s en mĂ©dias voire en marques, avec lesquelles les internautes veulent interagir.

Et, comme tout objet numĂ©rique Ă  la portĂ©e d’internautes, Cameo peut faire naĂźtre le pire comme le meilleur. Du plus crĂ©atif au plus nĂ©faste. Le New York Times racontait rĂ©cemment comment, reprenant les codes de Cameo, Caldwell Tidicue, acteur et participant de RuPaul, a imaginĂ© une annonce de divorce grĂące Ă  la plateforme.

Twitter avatar for @monetxchange
Give Us Free @monetxchange
Omg! This is ridiculous! This why I don’t of cameo 😂😂...SAVAGE @thatonequeen
Image
5:11 PM ∙ Apr 16, 2019
7,070Likes770Retweets

Le succĂšs Ă  Ă©tĂ© tel que de nombreuses demandes similaires d’annonces de rupture ont Ă©tĂ© faites, d’abord sous forme de blagues. Selon Steven Galanis, le fondateur du site, citĂ© par le New York Times, Cameo ne fait que propager du bonheur, et « les talents ne feraient pas les vidĂ©os s’ils estimaient causer du tort Ă  quelqu’un ».

Laisser les « talents » dans l’ignorance est peut-ĂȘtre le meilleur moyen de leur faire croire qu’ils ne causent aucun tort. C’est la stratĂ©gie utilisĂ©e par des activistes russes, dans une opĂ©ration d’influence d’ampleur, Ă  la suite de la dĂ©tention de Maxim Shugaley, stratĂ©giste politique, soupçonnĂ© de manipuler les Ă©lections et emprisonnĂ© en Libye.

Dans une vidĂ©o archivĂ©e sur VK, on retrouve l’intervention de Charlie Sheen en « soutien Ă  Maxim Shugaley

Les acteurs Charlie Sheen ou Danny Trejo ont ainsi enregistrĂ© des vidĂ©os de soutien, grĂące Ă  Cameo, opportunĂ©ment reprises par des mĂ©dias russes - sans en signaler la provenance - pour crĂ©er du bruit en ligne au sujet de Maxim Shugaley, comme l’ont racontĂ© le Stanford Internet Observatory et Foreign Policy.

À quoi bon se prendre la tĂȘte avec des deepfakes, si une centaine d’euros permet d’avoir une vidĂ©o « vĂ©ritable » ?

À visiter, Ă  Ă©couter

Jusqu’au 6 fĂ©vrier, vous pouvez faire un tour Ă  l’Avant Galerie Vossen pour l’exposition De la Tulipe Ă  la Crypto Marguerite, qui rĂ©unit plusieurs artistes autour d’un mĂȘme thĂšme, celui de la spĂ©culation. De la tulipomanie du XVIIe siĂšcle au crypto-art, l’exposition propose une rĂ©flexion sur le marchĂ© et son influence sur les artistes.

Les tulipes gĂ©nĂ©rĂ©es grĂące au machine learning d’Anna Ridler cĂŽtoient des portraits de Satoshi Nakamoto – le pseudonyme utilisĂ© par celui, celle, ou ceux, qui ont créé le bitcoin – ou une Ă©vocation brumeuse des tendances du marchĂ© peinte par Louise Belin.

Mer Augure, Louise Belin, 2020

Le samedi midi, Albertine Meunier propose mĂȘme une initiation au crypto-art, qui permet grĂące Ă  l’ingĂ©nierie de la blockchain, de figer la propriĂ©tĂ© d’une Ɠuvre numĂ©rique, tout en la laissant se promener sur les rĂ©seaux, et de prĂ©-programmer un droit de suite, c’est Ă  dire un pourcentage touchĂ© par l’artiste Ă  la revente de son travail.

  • De la tulipe Ă  la Crypto Marguerite, Avant Galerie Vossen (Paris), du mercredi au samedi de 14 heures Ă  18 heures, jusqu’au 6 fĂ©vrier

« Maybe I’m not pretty, maybe I’m just fun
 » Mise en ligne sur Spotify il y a quelques jours, la chanson de Jessia est nĂ©e sur TikTok. En quelques vidĂ©os, on est passĂ© d’un refrain partagĂ© par l’utilisatrice depuis sa voiture Ă  une version finale rĂ©utilisĂ©e par les utilisatrices et utilisateurs de l’appli. Elle atteignait le 20 janvier plus de 5,4 millions d'Ă©coutes sur Spotify. @perrineam raconte toute l’histoire sur son compte Twitter.

  • I’m not pretty, Jessia, 2021

On parle de nous

LouZou, son nom sur Twitter, a partagĂ© le prĂ©cĂ©dent numĂ©ro d’arobase, faisant naĂźtre une conversation autour du concept d’« habiter Whatsapp », et des promesses de tables rondes avec l’auteur et l’autrice de l’article de recherche dont nous parlions.

Twitter avatar for @LouZou
Louise @LouZou
Dans la newsletter @arobase_mag cette idĂ©e passionnante des groupes, espaces communs, jouĂ©s, co-habitĂ©s. "Habiter WhatsApp c’est occuper un espace en y projetant sa vie intime, ses affects, ses souvenirs, de sa relation aux autres."
arobase.substack.comđŸĄÂ« Habiter Whatsapp » et les comptes Instagram piratĂ©sYosra Ghliss, chercheuse en sciences du langage, a soutenu une thĂšse sur les Ă©motions et Whatsapp. Les piratages sur Instagram se multiplient et le service client de la plateforme n’aide pas.
1:57 PM ∙ Jan 14, 2021
3Likes4Retweets

Faites comme elle : partagez arobase à vos proches, vos ami·es, vos abonné·es et plus loin encore. Et merci à Louise !

Share this post

đŸČ Les trolls de Caroline Delieutraz et des stars Ă  la demande

arobase.substack.com
Comments
TopNewCommunity

No posts

Ready for more?

© 2023 Alexandre Léchenet
Privacy ∙ Terms ∙ Collection notice
Start WritingGet the app
Substack is the home for great writing