Ribambelle de tutoriels avec Marion Balac et un « influenceur cellier »
Marion Balac imagine des Bouvard et Péchuchet modernes qui apprennent tout sur Internet. Ange Liautard prêche sur TikTok pour que tout le monde ait un placard rempli de provisions.
Échanges avec… Marion Balac
« We won’t need anyone anymore », se félicitent B et P, les deux héros du court-métrage de Marion Balac, après s’être gavés de tutoriels sur Youtube.
Marion Balac est une artiste qui se nourrit d’internet et de ce qu’il produit — nous lui avions parlé de son travail autour des mèmes. Elle imaginé dans sa dernière œuvre, How to excel at everything, l’histoire de ces deux simili-pokémons, qui veulent tout savoir grâce à internet.
B et P ont reçu leur nom de deux héros de Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, qui entendent vivre une vie ensemble grâce aux livres qu’ils lisent et à toutes les recommandations qu’ils y trouvent. Ils explorent tous les champs et tous les arts, mais peinent à l’appliquer.
Pour découvrir l’œuvre de Marion, le mot de passe est « arobase ». La vidéo est accessible dans les dix prochains jours.
Avec ce travail, Marion Balac trace une ligne entre la morale de Bouvard et Pécuchet, les vidéos d’apprentissage de la peinture de Bob Ross — d’abord télévisées mais qui ont depuis fait le bonheur de Twitch, les modes d’emplois de WikiHow et tous les tutoriels qu’on peut trouver sur Youtube ou désormais TikTok.
Les différents tutos sont petit à petit peuplés par des furries — dont une magnifique version Bob Ross. Avec ce court-métrage, Marion a voulu aussi explorer « la question de la “remplaçabilité” des profs et/ou des contextes “physiques” d'apprentissage (technique et social) ».
Dernière étape de leur périple : go offline. On apprend mieux lorsqu’on se confronte à la réalité… Et Marion travaille à une version en images réelles de ce court-métrage.
L’histoire de… Ange, « influenceur cellier »
« Avant le mois de mars, essayez de mettre des produits de côté ! ». J’ai un peu suivi les aventures de la proposition de loi de Frédéric Descrozailles dans le cadre de mon travail salarié, mais j’étais passé à côté de l’interdiction des grosses promotions le 1er mars dernier, avant d’être alerté par Ange Liautard, sur Tiktok.
Ange Liautard est opérateur de manège, mais je le connais parce qu’il est « influenceur cellier », comme le décrit France 2. L’idée du cellier est simple : Ange économise sur ses courses en achetant par lot, et conserve en nombreux exemplaires de chaque produit dans une pièce dédiée.
Dans son cellier, on trouve des dizaines de boîtes de café, plusieurs rangées de gâteaux, des congélateurs emplis de fromages et charcuterie… L’influenceur fait tous les mois le bilan de ses stocks en se filmant. L’étape suivante est celle des courses, dans plusieurs magasins, à la recherche des meilleures promos, et des prix les plus bas.
Récemment, des mentions « Partenariat rémunéré » ont été ajoutées aux vidéos shopping. Ange utiliserait-il sa notoriété pour payer encore moins cher chez Aldi, Super U ou Lidl ? Pas du tout répond-il, l’objectif est de contourner l’algorithme de TikTok. « Je montre énormément de marques. Au tout début, TikTok m’a signalé que je montrais trop de marques et que c’était un contenu publicitaire. (…) Comme je suis en collaboration avec aucune marque, je ne touche pas d’argent. »
C’est assez amusant/intéressant/déroutant de voir Ange réapparaître régulièrement dans mon fil TikTok. Notamment parce que son concept de cellier entraîne toujours les mêmes questions, et qu’il n’a, semble-t-il, aucun mal à réexpliquer à chaque fois l’histoire du cellier, et son intérêt économique, à le faire visiter, à détailler ce qu’il congèle…
À lire
L'émission Y’a que la vérité qui compte, diffusée à l'origine sur TF1 est rediffusée sur internet depuis le confinement. Elle génère des millions de vues sur les réseaux, mais tous les témoins n’ont pas été contactés pour donner leur accord à voir remonter des histoires parfois très douloureuses.
Thibaut Schepman raconte l’impact de ce droit à l’oubli inexistant pour les témoins, et le manque de déontologie des animateurs-producteurs, et des rediffuseurs.
Le site était assez rudimentaire, hébergé par Blogspot, mais chaque semaine il affichait de nouvelles cartes postales où des anonymes partageaient leurs secrets. Frank Warren a lancé Post Secret il y a vingt ans. Il collecte les cartes postales, les arrange et en partage une poignée, chaque dimanche. Une histoire racontée par Hazlift.
Un dernier pour la route
On avait parlé du travail de Yosra Ghliss, qui avait soutenu une thèse en sciences du langage sur WhatsApp. Elle m’expliquait comment on « habitait » WhatsApp, en occupant « un espace, en y projetant sa vie intime, ses affects, ses souvenirs, de sa relation aux autres ».
Le post TikTok ci-dessous embrasse complètement cette idée en dédiant un espace à la logistique familiale, pour ne pas que ces préoccupations interfèrent avec les « discussions amusantes que vous avez en couple ».
Comme dit Flaubert (ou était-ce Wikihow ?) "give back to the internet". Merci beaucoup pour vos missives et les supers liens/projets/œuvres d'art qu'elles me font découvrir à chaque envoi !