Internet en Arctique et un rendez-vous numérique
1️⃣ L'internet dans l'Arctique n'est pas ouf, mais des raisons géopolitique, technologiques, et les peuples autochtones, pourraient changer ça. 2️⃣ BeReal propose de partager une photo au même moment.
Rencontre avec Adrienne Charmet
Au-delà des téléphones, des box des opérateurs ou des ordinateurs, Internet repose sur une importante infrastructure. C’est ce que nous rappelle Adrienne Charmet dans un mémoire de master Géopolitique rédigé l’an dernier, sur les connexions à internet dans l’Arctique que nous avons eu la chance de lire cet été. Une question intéressante tant elle implique de problématiques diplomatiques, industrielles et technologiques.
L’Arctique se partage entre plusieurs pays : la Russie, les États-Unis avec l’Alaska, le Canada, le Groenland, l’Islande, la Norvège, la Suède et la Finlande. Aujourd’hui, ses quelques habitant·es – autochtones ou résident·es pour des raisons professionnelles – se connectent principalement par satellite. La fibre optique n’est guère déployée. « Il n’y a pas de volonté de penser les infrastructures de télécommunications à l’échelle de la région arctique, note Adrienne. Chaque État a mis en œuvre sa propre politique de connexion de ses régions arctiques sans penser à des projets communs régionaux. »
La fibre optique est intéressante, puisqu’elle garantit une connexion plus solide et rapide, et elle se déploie aussi bien sur terre que dans la mer. Plusieurs projets existent pour en déployer sur la côte arctique. Il s’agit autant de connecter les habitant·es que de relier au monde les datacenters qui s’installent dans ces terres froides ou encore d’améliorer la vitesse de connexion entre entre Tokyo et Londres. Ces deux places boursières sont à la recherche de la moindre millisecondes d’amélioration à l’heure du trading haute-fréquence1.
Ces projets de déploiement de la fibre sont complexes à mettre en œuvre, notamment pour des raisons climatiques, mais ils ont été relancés après l’apparition du Covid-19 et les différents confinements. Leur poursuite est confortée par des questions géopolitiques, qui rendent ces câbles stratégiques. Adrienne note dans son mémoire :
« L’intense activité militaire sous-marine en Arctique ne peut qu’être une justification supplémentaire à la pose de câbles sur lesquels les armées des puissances régionales puissent avoir un regard. Le recrutement d’anciens militaires américains chez Quintillion et les projets militaires russes laissent penser que les applications de ces câbles ne seront pas uniquement civiles. »
L’invasion russe en Ukraine a chamboulé ces projets : « Les projets de câbles sur le passage du nord-est semblent à l'arrêt, et ceux sur le passage du nord-ouest qui étaient jugés plus difficiles semblent revenir en grâce », détaille Adrienne par SMS. Et l’arrivée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN « va forcément pousser au développement des communications numériques dans la région, au moins pour les besoins militaires ».
Le mémoire se penche ensuite sur la construction des réseaux et cherche le cheminement des informations depuis et vers différents points de l’Arctique. Adrienne montre que les pays sont peu connectés les uns au autres et que beaucoup d’informations passent par les États-Unis et la Russie. « L’Arctique est globalement un cul-de-sac du point de vue de ses infrastructures de transport physique des communications numériques. »
Le numérique est aussi important pour les populations autochtones de l’Arctique. Celles-ci « se sont emparées du numérique à la fois pour revendiquer leur égalité face aux autres populations de leurs états, mais également pour affirmer et valoriser leurs cultures propres », note la chercheuse dans sa conclusion.
Mais ces populations espèrent un meilleur débit. En 2016, alors qu’une connexion à internet par satellite était annoncée pour le Nunavut, au Canada, le responsable de l’information du gouvernement du Nunavut, Dean Wells, interrogé par CBC, notait qu’un banlieusard dans un train à Toronto a davantage de débit pour une vidéo que l’ensemble des services du Gouvernement du Nunavut.
Du très haut débit serait beaucoup plus favorable au partage de la culture inuit, notamment en permettant l’utilisation de la vidéo. C’est la thèse développée par l’anthropologue Rachael Petersen, citée par Adrienne. Dans son article Décoloniser le Nord numérique : pourquoi les Inuits ont besoin d’un meilleur débit, maintenant, elle déclarait, il y a dix ans : « Les Inuits doivent avoir les outils pour adopter internet selon leurs conditions, de l’alimenter avec leur propre contenu, de l’adapter en fonction de leur langue, histoire et valeurs. »
L’histoire… d'un rendez-vous numérique
Ben Grosser est un artiste qui imagine de nouveaux réseaux sociaux, qui montrent, en creux, les défauts des réseaux sociaux utilisés quotidiennement. Nous avions discuté avec lui l’an dernier. Il avait notamment imaginé un réseau où tous les compteurs et indicateurs sont ôtés, et un autre où on ne peut poster qu’un nombre limité de posts.
BeReal, un réseau social né en 2020 surfe sur les mêmes promesses, et se présente comme un contrepied aux médias sociaux stars. On ne peut poster qu’une seule photo par jour, et c’est BeReal qui décide quand. Les utilisateur·ices reçoivent une notification et ont deux minutes pour partager leurs photos. Ce qui peut créer une attente, voire une anxiété, note Ben Grosser, que nous avons interrogé.
L’application est devenue populaire au printemps 2022 : en avril, Apptopia notait que 65% des téléchargements de l’application avaient eu lieu dans les premiers mois de 2022. Cette popularité a bénéficié notamment d’un programme d’ambassadeurs rémunérés par l’application dans les universités américaines. Ce que je trouve intéressant dans l’application, c’est qu’elle crée un rendez-vous quand bon nombre de réseaux aujourd’hui nous proposent des « timelines » désynchronisées – à l’exception peut-être de Twitch, où les streameur·ses proposent des rendez-vous récurrents.
Grâce à BeReal, si tout le monde joue le jeu, on peut savoir ce que fait chacun·e au même moment, créant un lien ténu entre chacun·e, puisque les utilisateur·ices ont deux minutes quand la notification est envoyée pour partager deux photos, prises avec les objectifs avant et arrière de leur smartphone.
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Le fonctionnement de BeReal se rapproche de celui de Wordle, avance Ryan Broderick dans Polygon, en créant un rituel quotidien et peu prenant, entre ami·es. Une utilisatrice sur TikTok raconte n’avoir accepté que quelques ami·es sur BeReal et s’être créé un safe space où elle ne partage sa vie qu’à des personnes qu’elle connaît vraiment. Les vacances de ces dernières semaines, les voyages et les groupes dispersés ont peut-être donné à l’application plus d’attraits et de reliefs ces dernières semaines, que lorsque tout le monde partagera une photo devant son ordinateur, de retour au travail.
L’application apporte quelque bonnes surprises et on découvre sur TikTok des mèmes provoqués par l’application et ses notifications impromptues. La révélation à ses ami·es d’une soirée avec son ex ou une occupation très personnelle. Sur BeReal, les ami·es peuvent réagir avec des « realmojis » recrées à partir d’une photo de leur visage qui sont autant d’animation aux vidéos partageant les posts.
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L’application n’est pas exempte de critiques. S’il y a moins de compteurs, Ben Grosser, remarque qu’il en subsiste quelques uns. Et l’application démarque celles et ceux qui respectent ou non les règles, en apposant « late » aux photos postées après la fenêtre de deux minutes. Il ajoute :
« Le plus inquiétant c’est qu’ils ont accepté des fonds d’a16z, ce qui montre qu’ils sont prêts à être associés aux mêmes venture capitalists dont les attentes en terme d’hypercroissance ont poussé d’autres startups, comme Facebook ou Instagram, à sacrifier l’expérience utilisateur et à exploiter leurs données au service de la croissance et du profit. En un mot, BeReal ne peut pas être spécialement alternatif, digne de confiance ou “authentique”, avec a16z dans l’histoire. »
Pour l’instant, l’application est gratuite, et sans publicité, mais on sait que ça ne peut pas durer. Mais il existe des solutions artisanales pour en garder le meilleur.
À voir, à écouter
Nous avions interrogé Dasha Ilina il y a plusieurs mois. Bonne nouvelle : vous pouvez retrouver ses œuvres à la Galerie D., à Romainville, jusqu’à lundi prochain. Ses vidéos et bricolages interrogent l’effet des technologies sur nos corps.
On est accueilli par un oreiller sur lequel est brodé un téléphone et son travail autour du Center for Technological Pain, qui propose des tutos pour améliorer les postures liées à l’utilisation des nouvelles technologies côtoie une nouvelle vidéo. Reprenant les codes des vidéos ASMR de réparation de robot - j’ai découvert à cette occasion que c’était une vrai catégorie - Dasha propose une réparation ASMR, faisant face à un robot s’interrogeant sur son rôle de soignant dans la société.
« L’algorithme d’Instagram fait que quand on commence à s’intéresser à un domaine, tout notre fil d’actualité est absorbé par ce domaine », raconte Alix, une adolescente interrogée par Jeanne Mayer dans les Pieds sur Terre. Pendant le confinement, elle est tombée dans le rabbit hole des « fitness girls », qui ont déclenché un engrenage sur le contrôle de son corps et de son alimentation.
Jeanne Mayer parle également à une autre jeune femme ayant souffert de troubles du comportement alimentaire, Alix, qui est passée des contenus « pro-ana » sur les réseaux sociaux à une entraide lui permettant de sortir de ces troubles grâce à une connaissance rencontrée en ligne.
Un dernier pour la route
Une punition sauvegardée « pour l’éternité » sur Google Maps.
Sur le sujet du trading haute fréquence, Xavier de la Porte a proposé un très bon épisode du podcast le Code a changé, partant d’un pylône militaire installé en Belgique racheté en 2012 pour 12 millions d’euros.