Les collages de Scorpion Dagger et le « Deuxième Monde »
1️⃣ Scorpion Dagger détourne les peintures de la Renaissance pour en faire des boucles loufoques. 2️⃣ Le Deuxième Monde est un « multivers » français, qui a fermé ses portes en 2002.
Rencontre avec Scorpion Dagger
Ses premières créations étaient analogiques, avec du papier et de la colle. Elles ont depuis évolué vers le monde numérique. Après s’être longtemps déployé en gif sur Tumblr, le travail de James Kerr, pour son projet Scorpion Dagger, se découvre principalement aujourd’hui sur Instagram, sous la forme de reels.
Un homme met un vent à Dieu avant de disparaître, un autre, qui semble être un pasteur, mange goulûment un hot-dog… Les collages de Scorpion Dagger sont réalisés principalement grâce à des peintures datant de la Renaissance. Les figures divines sont régulièrement invitées et côtoient des héros et héroïnes de la pop culture, dans un univers loufoque. Batman semble ainsi descendre d’une croix, sous les traits d’une pieta, pris en charge par plusieurs femmes.
« Il y a une esthétique particulière, brute, qui m’attire beaucoup dans les travaux de la première Renaissance, ou de la Renaissance flamande », explique James Kerr par mail. Il poursuit :
« Ce qui m’a attiré dans ces travaux c’est que j’étais capable de trouver des idées simplement en regardant les détails, et en les réimaginant dans des contextes complètement différents. Ce n’est pas difficile de regarder une peinture de Bruegel sans y voir quelque chose d’amusant. C’est ce que je voulais explorer avec Scorpion Dagger. »
Les collages de Scorpion Dagger sont permis par la disponibilité d’œuvres sous licence libre ; une pratique de plus en plus répandue dans les musées. « Un de mes objectifs avec Scorpion Dagger est d’augmenter l’intérêt pour l’art classique, et d’encourager les gens à aller dans les musées », ajoute James.
L’artiste a récemment collaboré avec le Musée de Cluny, à Paris. Le musée se consacre au Moyen-Âge, un léger pas de côté pour Scorpion Dagger. Il a composé plusieurs éléments, dont l’affiche célébrant la réouverture du musée. Elle est composée de toutes les œuvres les plus célèbres du musée réunies pour une fête dans les jardins du musée. On y retrouve l’humour et le ton léger de ses créations.
Il a également collaboré avec Hifiklub, un collectif de musique électronique français. Ensemble, ils ont travaillé autour des œuvres des collections permanentes du Musée d’art de Toulon. Le projet se décline autour de vingt morceaux : dix ont été composés en live en découvrant les animations de Scorpion Dagger, dix autres ont été réalisés en amont et Scorpion Dagger a créé des animations pour les accompagner.
Le tableau de Charles Ginoux, Tobie rendant la vue à son père, devient ainsi une séance de maquillage d’un vieil homme avant de monter sur scène, guitare à la main. L’ensemble de ces morceaux ont été pressés sur un vinyl, l’occasion pour Scorpion Dagger de s’étendre sur de nouveaux formats.
L’histoire du… « Deuxième Monde »
À quoi ressemble la vie dans le metavers ? Plusieurs entrepreneurs tentent de nous renvoyer, feignant l’innovation, mais de nombreux expériences ont déjà existé. Nous avions parlé avec Hortense Boulais-Ifrène, qui avait effectué un travail de recherche sur Second Life. De récentes productions – chez Pixels et sur France Culture – nous ont fait découvrir un monde virtuel bien plus Français : le Deuxième Monde.
Le Deuxième Monde, créé par Cryo Interactive et Canal Plus Multimedia en 1997, est à la fois un « jeu vidéo » et une « communauté virtuelle », analysait en 2003 Olivier Galibert, chercheur en sciences de l’information. C’est, écrit-il, « une simulation à peine enchantée d’un quotidien légèrement sublimé », à comprendre « comme un autre plan de sociabilité ».
Jeanne Mayer1 a rencontré Sylvie3600, utilisatrice du Deuxième Monde : « Ils avaient modélisé plusieurs quartiers de Paris, pas mal de rues. (…) L’intérêt n’était pas de se promener dans les rues vides mais de rejoindre un groupe. (…) On se retrouvait pour échanger, discuter. » Elle se souvient notamment de club philo organisé, et de fausses cérémonies de mariage.
Interrogé par Le Monde, Alain Le Diberder, directeur des nouveaux programmes chez Canal Plus, raconte qu’il a voulu donner un pouvoir aux utilisateur·ices, notamment pour gérer la vie en ligne : « On a consulté des spécialistes de droit constit’, et dès le début on a lancé un système pour que les utilisateurs puissent nommer un “Conseil constitutionnel”. Le but était qu’ils autogèrent les problèmes de drague lourde ou de harcèlement en ligne. »
À lire les différents articles, on a l’impression qu’il y avait d’un côté une vie en ligne, riche, avec des rencontres en ligne et hors ligne, des associations réunissants les utilisateur·ices et de l’autre une vitrine commerciale, où quelques marques se pressaient pour paraître à la mode. Alexandre Stopnicki, président de Numériland, chargé de faire venir les annonceurs, se souvient :
« Le premier annonceur que j’ai pu convaincre, c’était Mattel. Dans le Deuxième Monde, on pouvait voir les futurs produits en avance (…) Ensuite j’ai fait venir Kodak, la Société générale, SFR… une cinquantaine de marques en tout, avec à chaque fois un univers très spécifique. Elles ne venaient pas pour faire de la pub, mais pour signifier qu’elles étaient des marques innovantes, qui connaissent les enjeux du numérique. »
Olivier Galibert, qui a passé un peu de temps dans la boutique Cetelem dans le Deuxième Monde, raconte également des discussions qui étaient tout sauf commerciales avec l’opératrice : « La plupart des communications menées avec les Bimondiens étaient de l’ordre de la conversation amicale ou de la séduction. »
En 2002, le jeu vidéo a été arrêté. « Au bout de même pas deux ans, ça s’est arrêté soudainement, raconte Sylvie3600 On a continué à voir des personnes d’autres personnes du Deuxième Monde, mais c’était ma fenêtre de liberté de tous les soirs qui avait disparu. Ça a été très dur. » « Il y a un groupe sur Facebook d’anciens Bimondiens, on se voyait encore récemment… », ajoute Laurent Lassure, encore aujourd’hui président de l’Association des Bimondiens.
À lire
En un strip, Boulet raconte sa relation avec certains commentaires que peuvent déposer ses lecteur·ices. Il imagine rencontrer l’auteur d’un de ces commentaires…
« Je me suis dit que ça serait une bonne idée pour plein de gens si je donnais ma musique à tout le monde. Personne n’était sur ce créneau, je me suis donc glissé dedans. » Kevin MacLeod est compositeur. Sur Incompetech.com, il propose de nombreux morceaux à destination des vidéastes, livres de droit. L’ADN l’a rencontré. Il considère que le droit d’auteur est « un poids mort pour la création », dont il faudrait se débarrasser.
Ses compositions sont massivement utilisées par les vidéastes publiant sur YouTube. S’il décidait un jour de chercher à monétiser sa création, les nombreuses vidéos utilisant ses morceaux pourraient lui rapporter des millions… « C’est un peu comme si je possédais le “kill switch” de YouTube. Mais je vous rassure, je n’appuierai jamais sur ce bouton », s’amuse-t-il.
Jeanne Mayer s’est également penchée pour les Pieds sur Terre sur Chip Chan et les ados shifteurs, des épisodes dont nous vous avions parlé à réécouter !
Très bon numéro d'arobase :-)
De mon coté, j'avais interviewé James Kerr par rapport à son travail pour le Musée de Cluny dans le n°110 de l'infolettre Muzeodrome (mai 2022) : https://muzeodrome.substack.com/p/dans-les-boucles-animees