Skygge compose de la musique avec l'aide de l'IA
Le musicien Benoît Carré explore des outils d'intelligence artificielle pour composer des morceaux. Le fil TikTok enferme ses utilisateur·ices, comment s'en sortir ?
Rencontre avec Skygge
Vendredi dernier, j’ai été invité à assister à Interface Poetry, concert avec une IA, moment musical et technologique mené par Skygge. Ça se passait au Cube, à Issy-les-Moulineaux, et il y a une autre date de prévue : demain soir.
Skygge, de son vrai nom Benoît Carré1, expérimente depuis plusieurs années la création musicale avec l’aide de technologies d’intelligence artificielle. « Il faut voir l’intelligence artificielle comme une ombre qui n’obéit pas tout à fait », explique sur scène Skygge – qui veut dire « ombre » en danois.
« Nous sommes très peu nombreux, je crois, à produire et composer avec les nouveaux outils disponibles, m’explique par mail Benoît Carré. Ceux que je contribue à développer avec les chercheurs sont à l'état de prototype et ceux qui sont disponibles sur le web sont peu maniables et assez peu connus. »
Parmi les expérimentations de Skygge découvertes sur scène, un morceau imaginé par Jukebox, un outil de OpenAI, sur laquelle le chanteur pose sa voix. L’ordinateur a ingurgité plusieurs chansons de Jenifer pour en proposer une nouvelle, à sa façon (Jukebox propose aussi un morceau inspiré par Johnny ou Katy Perry, parmi d’autres).
Plus tard, sur scène, Skygge montre comment fonctionne un de ses outils en mêlant une mélodie à plusieurs morceaux différents, faisant passer le refrain Daisy Bell, premier morceau chanté par une synthèse vocale en 1961, entre les mains d’Air, Daft Punk ou Jean-Sébastien Bach… Il laisse également un ordinateur assembler une fugue de Schubert à une cuica, instrument brésilien, créant une nouvelle mélodie pour son titre Océan noir.
« La création c'est aussi inventer sa propre façon de se servir d'un instrument, d'un effet ou d'un plugin pour en tirer un son qui porte notre signature. C'est ce que je fais la plupart du temps. Les chercheurs avec qui je travaille ne peuvent jamais vraiment prévoir la finalité des outils qu'ils développent », m’explique encore Benoît Carré.
On imagine souvent l’intelligence artificielle comme un moyen de « faire à la place de », mais grâce à Skygge, on voit qu’ils permettent de faire différemment et d’explorer des terrains inexploités, au moins dans le cas de la musique. « Dire que l’on n’a pas besoin des artistes, c’est une erreur. Les scientifiques ne remplaceront pas les artistes, mais ils peuvent leur proposer de nouveaux outils », expliquait à Sophian Fanen, dans une série passionnante des Jours sur le sujet, Michael Turbot, qui travaille au laboratoire de sciences informatiques CSL de Sony.
Si vous voulez voir à quoi ça ressemble, rendez-vous au Cube dès demain, ou écoutez le dernier album de Skygge, Melancholia.
L’histoire de… mon fil TikTok
La semaine dernière, j’ai évoqué à la Gaité Lyrique, dans le cadre de NØ LAB, mon expérience avec TikTok. Je passe plusieurs heures par semaine, avec plus ou moins d’assiduité, devant mon écran à faire défiler les vidéos. Une utilisation qui méritait qu’on prenne un peu de recul…
Si je devais résumer mon fil TikTok ces jours-ci, c’est avant tout 20% de pubs pour un opérateur de « quick commerce ». C’est aussi la dernière vidéo du ministre délégué chargé des transports, ou de son équipe, à la recherche du dernier « trend » à exploiter pour promouvoir sa propre personne, les trains de nuit ou l’avion « zéro carbone ».
C’est aussi quelques vidéos de techniciens installant la fibre et se retrouvant face à des fils dans tous les sens, que j’avais trouvée alors que j’écrivais un article sur le sujet… C’est surtout beaucoup de vidéos de cuisine, et des jeunes se racontant.
Sur TikTok, l’algorithme est un personnage à part entière. On s’en amuse. On essaie de le comprendre, de le dompter. Quand on essaie de faire un travail un tant soit peu journalistique, on doit aussi s’en méfier. Je m’en suis souvenu au moment des mobilisations « Black Lives Matter » aux États-Unis : parmi les milliers de contenus partagés, aucun n’apparaissait sur mon fil.
S’ajoute à cela la tendance qu’a TikTok à encourager les polémiques, notamment avec ses fonctionalités collage ou duo, et la tendance de certains acteurs du web à s’en emparer, dans un cercle vicieux, collant à des anonymes une célébrité difficile à oublier. C’est ce qu’on racontait il y a quelques semaines au sujet de « West Elm Caleb » ou « Couch Guy » qui a ses cas également francophones (il y a quelques jours, un jeune aurait dansé en crop top à l’église et à en juge mon fil TikTok, tout le monde semblait parler de ça…)
Ces jours-ci, s’ajoutent dans mon fil des vidéos concernant l’invasion de l’Ukraine par des soldats russes. Des utilisateur·ices racontent la vie en Ukraine en guerre. D’autres réagissent, se maquillant en jaune et bleu, se filmant pret à prendre les armes ou faisant des blagues sur la troisième guerre mondiale. Un besoin de partage ou une transformation de tout aspect de la vie en contenu, comme l’évoquait Lucie Ronfaut dans sa dernière newsletter.
Une fois ces réflexions faites, que faut-il faire avec l’algorithme ? Le contourner ? Le dompter ? Multiplier les comptes ? On avait vu il y a quelques temps qu’un algorithme alimenté par quelques vidéos transphobes proposait tout seul des vidéos racistes, sexistes, etc. Il suffirait de sélectionner quelques vidéos de départ pour avoir un compte adapté aux recherches du moment. Vincent Manilève avait raconté, par exemple, son exploration du « deeptok », en cliquant de hashtag en hashtag.
À lire
Cet été, Numerama rencontrait plusieurs modders qui arrivaient à financer leur travail en créant des extensions pour les jeux vidéo, comme Syboulette, qui crée des meubles pour les Sims, ou LukeRoss, qui adapte des jeux à des technologies de réalité virtuelle.
Ils et elles racontent l’argent gagné, autant en créant ces extensions numériques qu’en interagissant avec leur communauté. Des contraintes qui s’ajoutent à celles imposées par les éditeurs de jeux, qui tolèrent ou refusent que des modders s’enrichissent.
Comment les modders, qui créent du contenu pour leurs jeux vidéo préférés, vivent de leur passion, Licia Meysenq, Numerama, juillet 2021
Un dernier pour la route
J’ai découvert en rentrant chez moi que Benoît Carré avait également collaboré dans le groupe Lilicub, à qui l’on doit le tube de 1995, Voyage en Italie. 🤩