« Je te promets » : les promesses des crypto-bros et Johnny AI
Dans son livre « No Crypto », Nastasia Hadjadji démonte le Bitcoin et autres crypto-actifs. Un jeune fan de Johnny a décidé de le faire revivre grâce à des outils d'intelligence artificielle.
Rencontre avec Nastasia Hadjadji
Le mystère qui entoure la création du Bitcoin et les promesses d’une alternative aux systèmes financiers et monétaires qu’il peut représenter a inspiré des artistes — on en a parlé par exemple ici. No Crypto, le livre de Nastasia Hadjadji, permet de décentrer le regard sur Bitcoin et compagnie.
Car bien plus que la technologie source d’émancipation qu’on nous décrit parfois, Nastasia montre comment s’est construit un système qui ressemble à une pyramide de Ponzi. « Chaque gain provient d’une perte, les nouveaux entrants finançant les gains des étages supérieurs de la pyramide », écrit Nastasia.
Elle explique dès le début du livre qu’elle préfère parler de crypto-actifs plutôt que de crypto-monnaie, puisque les premiers propriétaires de Bitcoin ont décidé d’en faire une ressource financière, utilisée principalement pour s’enrichir, plutôt qu’un moyen d’échange et de commerce.
« La seule valeur associée aux crypto-actifs c’est la valeur d’échange : je dois pouvoir le refourguer pour un prix égal ou supérieur au “prochain idiot” (greater fool theory), mais aussi leur valeur spéculative dans un contexte de marché-casino dérégulé, où les manipulations par les gros porteurs (whales) sont légion. », m’explique-t-elle encore par mail.
Pour séduire toujours plus d’utilisateurs, utilisant l’argument de la « décentralisation » ou jouant sur le « besoin de transparence » du système financier traditionnel, de nombreux prophètes des crypto-actifs ciblent des populations marginalisées pour recruter encore et toujours, décrypte encore Nastasia dans son livre : « Lorsqu’il ne revêt pas des accents nécoloniaux, le discours sur l’émancipation se double d’un propos sur l’inclusion qui s’adresse à des communautés historiquement subordonnées. »
« Que ce soit par le biais d’un discours d’enrôlement de type sectaire ou au nom de valeur comme l’inclusion ou en alimentant les braises d’un ressentiment généralisé contre les institutions politiques qui nous fouettent à coup d’austérité, le discours est la clé de voûte du système », m’explique encore Nastasia par courriel, ajoutant que le discours « est généralement corrélé à des manipulations de marché qui permettent de faire monter artificiellement le cours de l’actif pour attirer les gogos ».
Un exemple récent de ce recrutement à tout prix a été raconté par le Financial Times, et décrit comment Binance, un acteur du secteur, s’est lié avec Simplon, une école de code, pour sensibiliser des chômeurs à la blockchain, grâce à des formations subventionnées par l’Etat. La formation consiste notamment à créer un compte Binance, raconte un des formé·es, harcelé de courriels depuis. D’ailleurs, le certificat de participation à la formation n’est accessible qu’avec un compte Binance… C’est ce que Nastasia décrit comme une « inclusion prédatrice ».
« On ouvre à des publics défavorisés les portes d’une entités shady AF au nom de leur insertion professionnelle. »
Au-delà de ce système de recrutement, le livre se penche également sur les liens (toujours plus) forts entre les partisans des cryptos-actifs, les libertariens et l’alt-right, notamment aux États-Unis. Il évoque aussi le bilan carbone assez lourd de ces crypto-actifs, qu’on avait évoqué dans arobase autour de la question des NFT. Vous l’avez compris, c’est un cadeau idéal à se faire pour lire pendant les fêtes de fin d’année.
L’histoire du… fan de Johnny qui l’a fait revivre
Depuis quelques mois, une quarantaine de vidéos permettent d’imaginer Johnny Hallyday chanter des standards de la variété ou des génériques de dessins animés. Les morceaux ont été réalisés grâce à des outils d’intelligence artificielle.
Clément Corcy, fan du rockeur français de 27 ans, est le créateur de cette chaîne. Il explique à La Provence tout le travail derrière ces vidéos, et notamment l’entraînement de l’algorithme : « J'ai opté pour des chansons où il part dans les aigus. (…) C'était également important de me baser sur un album live car c'est tout ce qui fait le sel de sa voix si marquante. »
« Je ne veux pas devenir un tiktokeur incapable de lâcher un buzz, quitte à devenir ringard et pénible à voir », explique Clément à l’occasion de sa dernière vidéo, publiée à la mi-août. Son objectif : faire aimer Johnny.
« Si je vous ai donné un tout petit peu envie d’écouter Johnny, mon but premier est atteint ! Regardez son concert au Stade de France en 1998, c’est sensationnel, c’est pour ça que j’ai fait le montage sur ce concert, avouez c’est la classe. »
« J'espère rester dans le cadre de l'imitation et de l'hommage », s’inquiète également Clément Corcy, qui n’arrive pas à cerner les contours juridiques entourant ses créations. Il précise sur Twitter n’avoir reçu aucun reproche de la part des ayants-droits de Johnny : « Le seul couac a été avec AB qui m'avait supprimé la chanson de DBZ de Bernard Minet mais avec un mail d'explication ils avaient retiré leur claim. »
Pour mieux encadrer les contenus les contenus générés avec l’aide d’outils d’intelligence artificielle, et promettant plus de transparence, Google a annoncé mi-novembre plusieurs mesures autour de l’IA. Notamment, des outils pour faire retirer les contenus usurpant la voix de certains chanteurs. En espérant que le générique des Pokemons chanté par Johnny y survive.
À lire, à voir
Dans une conversation publiée par le magazine du New York Times, l’artiste Marina Abramovic, célèbre pour ses performances est interrogée sur ce qui se passe sur les réseaux sociaux, et sur le lien entre certains contenus et les performances artistiques.
« Instagram ce n’est pas de l’art. Les médias sociaux ne sont pas de l’art. Ces jeunes ne sont pas des artistes. Je suis désolée, mais il n’en sont pas », tranche l’artiste, expliquant un peu plus tard que tout est question de contexte.
« Si quelqu’un se fait un petit-déjeuner et que nous regardons son petit-déjeuner, j’en ai rien à foutre. Ce n’est pas un contexte artistique. Si vous faites la même chose dans une galerie, c’est un contexte artistique. Le contexte fait toute la différence. »
Marina Abramovic Thinks the Pain of Love Is Hell on Earth, David Marchese, The New York Times Magazine, 26 octobre 2023
Pourquoi aller au festival OSINT organisé par les associations Après les réseaux sociaux et Open Facto qui se tient aujourd’hui et demain à la Gaité Lyrique ? Première raison : on a plusieurs fois aimé et évoqué ici les travaux des fondateurs d’Après les réseaux sociaux – Allan Deneuville, Chloé Galibert-Laîné et Gala Hernández López.
Leurs travaux récents sur l’enquête en source ouverte permettent d’aller au-delà des simples investigations journalistiques. Ils imaginent un âge des enquêtes en réseaux. Le festival propose aussi une réflexion sur les esthétiques de l’OSINT dont on avait un peu parlé avec fleuryfontaine et la projection de plusieurs courts-métrages.
Un dernier pour la route
J’ai toujours un sourire complice lorsque des pratiques sur le web parviennent à dire bien plus que ce pour quoi elles sont conçues. La dernière fois, je vous parlais des liens en bleu sur Wikipédia. Aujourd’hui, il s’agit de lien violets.
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je me mets un reminder pour qu'on se reparle de cette NL dans 15 ans, si on est encore là ^^