đ Le best-of de printemps
La réparation des smartphones, des jeux avec les mots, des émojis poétiques, des relations parasociales et la réponse à la question : la France aurait-elle pu inventer internet ?
arobase, tel quâon lâa imaginĂ© au lancement, câest une newsletter hebdomadaire, mais ça nâest surtout pas une obligation ; on fait quand on peut. LâĂ©dition que vous auriez du recevoir aujourdâhui devait ĂȘtre consacrĂ©e Ă un livre, et Ă son autrice. Un dĂ©lai dans les rĂ©ponses repousse donc lâĂ©dition prĂ©vue1.
En attendant, je vous propose un petit florilĂšge, comme nous lâavons dĂ©jĂ fait. Des liens divers, des extraits inĂ©dits dâinterviews, les meilleurs morceaux des numĂ©ros prĂ©cĂ©dents⊠arobase, câest une newsletter sur les cultures et arts numĂ©riques, internet, le web et un tas dâautres choses. Câest une rencontre avec des artistes, auteurs et autrices, chercheurs et chercheuses, toutes celles et ceux qui font internet.
Si vous lâapprĂ©ciez, nâhĂ©sitez pas Ă la transmettre Ă vos ami·es, Ă la partager sur les rĂ©seaux sociaux et surtout Ă vous abonner !
Bris de glace
« Ton tĂ©lĂ©phone est cassé », mâa dit ma mĂšre mercredi soir. « Il nâest pas cassĂ©, ai-je rĂ©pondu. Câest lâĂ©cran qui est cassĂ©. » AprĂšs une chute, lâĂ©cran sâest fendillĂ©, mais le tĂ©lĂ©phone reste fonctionnel. Ăa tombe mal, il y a quelques jours un vendeur de lâApple Store a sauvĂ© ma vie : il ĂŽtĂ© une quantitĂ© impressionnante de poussiĂšres et peluches qui empĂȘchaient un chargement correct. La charge est dĂ©sormais plus simple et a redonnĂ© vie Ă mon portable.
Ces anecdotes mâen rappellent une troisiĂšme : lors de ma derniĂšre visite chez ma grand-mĂšre, ma tante mâa surpris en ayant avec elles des piĂšces dĂ©tachĂ©es pour la tablette de ma grand-mĂšre, quâelle changeait rĂ©guliĂšrement, pour rĂ©parer le micro ou permettre la charge. Deux coups de tournevis, une broche Ă insĂ©rer, et hop, câĂ©tait rĂ©glĂ©.
Dans Smartphones, une enquĂȘte anthropologique, un livre de Nicolas Nova, dĂ©jĂ Ă©voquĂ© plusieurs fois dans arobase, il dĂ©crit le soin apportĂ© au tĂ©lĂ©phone comme un continuum, allant de lâensemble des prĂ©occupations liĂ©es Ă la recharge â Ai-je un cĂąble ? Une batterie portable ? Comment le recharger maintenant que les cafĂ©s sont fermĂ©s ? â en passant par lâĂ©preuve des grains de riz aprĂšs une immersion et sa rĂ©paration Ă la maison ou dans des magasin dĂ©diĂ©s, jusquâĂ son inĂ©vitable rangement, dans la collection des tĂ©lĂ©phones pas tout Ă fait cassĂ©s, mais pas vraiment utilisables.
Les magasins dĂ©diĂ©s sont mĂȘme le thĂšme exclusif dâun autre livre trĂšs intĂ©ressant, co-Ă©crit avec AnaĂŻs Bloch : Dr. Smartphone: An Ethnography of Mobile Phone Repair Shops. Le livre dresse le portrait, de plusieurs rĂ©parateurs et rĂ©paratrices de tĂ©lĂ©phone dans plusieurs pays, qui rĂ©parent pour gagner leur vie, sauver la planĂšte ou crĂ©er des liens, accompagnĂ©s de petits croquis rĂ©alisĂ©s par AnaĂŻs Bloch,. Des lieux de rĂ©parations souvent qualifiĂ©s de « cliniques » pour tĂ©lĂ©phones, oĂč Ćuvrent des « magiciens » : face Ă cet outil devenu indispensable, on est prĂȘt Ă tout, et mĂȘme Ă lâocculte.
Poésie
Nous avons plusieurs fois parlĂ© de poĂ©sie en ligne ces derniĂšres semaines, que ce soit avec Allison Parrish â qui gĂ©nĂšre des textes avec lâaide de lâordinateur â ou avec Magali Nachtergael â qui sâest penchĂ©e sur les relations entre poĂštes et machine. « La littĂ©rature se performe, sur des supports en ligne ou dans la rue. Aujourdâhui, on performe les textes grĂące aux machines », nous expliquait lâautrice.
Allison Parrish a partagĂ© il y a quelques jours sa magie au plus grand nombre, grĂące au Nonsense Laboratory, financĂ© par Google Arts & Culture, qui permet de jouer avec les mots, de les mixer, de les mĂ©langer, de modifier leur prononciation⊠Ce jeu mâen rappelle un autre, Machines Ă Ă©crire, dont jâavais le CD-Rom et qui permettait de plonger dans lâunivers de lâOulipo, sur les pas de Raymond Queneau et Georges PĂ©rec.
Sécurité
Quentin Lafay, que nous interrogions il y a quelques semaines au sujet de son livre, LâIntrusion, revenait sur la difficultĂ© de protĂ©ger, aujourdâhui, les traces de sa vie en ligne.
« Ce qui me frappe, plus largement, câest la difficultĂ© de protĂ©ger sa vie privĂ©e. Il est relativement compliquĂ©, pour le citoyen lambda, de savoir quelle application ou quel rĂ©seau choisir, les alternatives qui existent, les risques rĂ©els liĂ©es au smartphone, les moyens dâĂ©viter que nos donnĂ©es privĂ©es et intimes soient exploitĂ©es⊠Câest comme si chacun bricolait dans son coin en ayant bien conscience de la quasi-inutilitĂ© de ses efforts, face Ă la sociĂ©tĂ© de contrĂŽle et au capitalisme de surveillance. »
Nostalgie
Ămojis
Les rĂ©flexions autour des Ă©mojis Ă ajouter portent une part de poĂ©sie. Depuis quelques semaines, avec un opĂ©rateur Ă jour, il est possible de partager des tĂȘtes dans les nuages (đ¶âđ«ïž ) ou des cĆurs en flammes (â€ïžâđ„), parmi dâautres.
Jennifer Daniel, qui siĂšge au sous-comitĂ© Unicode en charge des Ă©mojis, raconte dans sa newsletter les diffĂ©rentes utilisations que pourrait permettre cette tĂȘte embrumĂ©e, quâelles soient littĂ©rales, pour les adeptes de soirĂ©es enfumĂ©es, ou plus mĂ©taphoriques. Les occasions ne manquent pas en ces temps troublĂ©s.
Dans un autre numĂ©ro de sa newsletter, elle note une spĂ©cificitĂ© de ces nouveaux emojis : ils sont tous la combinaison dâĂ©mojis existants. Cela permet de ne pas laisser des utilisateur·ices sur le carreau, en proposant une alternative : ceux qui ne peuvent pas voir une tĂȘte dans les nuages (đ¶âđ«ïž) verront une tĂȘte (đ¶) et des nuages (âđ«ïž). Et ceux qui ne peuvent pas voir un cĆur au milieu des flammes (â€ïžâđ„) voient un coeur (â€ïž) et des flammes (đ„).
Les Ă©mojis sont non seulement un outil utile dans nos conversations en ligne, permettant dâĂ©tendre nos capacitĂ©s, dâajouter du sous-texte, mais ils charrient Ă©galement de nombreux apports culturels. Saviez-vous que lâĂ©moji pour les raviolis pouvait Ă la fois contenter les amoureux des gyozas, des raviolis italiens et des pierogis polonais ? Enfin, Ă une seule condition : que les designers des plateformes jouent le jeu, comme le note sa crĂ©atrice, Yiying Lu.
Et si les opĂ©rateurs ont permis lâapparition de modificateur dâĂ©mojis, permettant dâadapter ceux-ci Ă la couleur de la peau, un internaute suggĂ©rait rĂ©cemment dâĂ©tendre la fonctionnalitĂ© Ă dâautres Ă©mojis.
Ă lire
Dans un long papier, Damien Leloup revient dans Le Monde sur les origines dâinternet et tente de rĂ©pondre Ă une question : la France aurait-elle vraiment pu inventer internet ? Ce questionnement, abordĂ© dans un rĂ©cent roman, revient rĂ©guliĂšrement dans certains dĂ©bats. Avec un argument : le datagramme, pilier de lâinternet, a Ă©tĂ© inventĂ© dans le cadre du projet français Cyclades, supplantĂ© en France par le Minitel et Transpac. Tout nâest pas si simple.
« LâidĂ©e que les AmĂ©ricains auraient, en intĂ©grant du datagramme, repris un truc totalement inventĂ© en France, est fausse. DĂšs le dĂ©but de Cyclades, il y avait des Ă©changes avec les AmĂ©ricains. GĂ©rard Le Lann, de Cyclades, va dĂšs 1973, un an aprĂšs le lancement du projet, travailler Ă Stanford avec lâĂ©quipe Arpanet. » â ValĂ©rie Schafer
La France aurait-elle vraiment pu inventer Internet ?, Damien Leloup, Le Monde, 29 mars 2021
Les relations parasociales sont des relations dĂ©sĂ©quilibrĂ©es, qui se crĂ©ent notamment en ligne avec des stars de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© ou lâinstructeur·ice qui propose des cours de fitness sur YouTube. Nous avions dĂ©jĂ Ă©voquĂ© ces relations, et lâexigence de vĂ©ritĂ© quâelles crĂ©aient chez certains abonné·es.
Jessica Grose, dans le New York Times, rapporte les propos dâune femme californienne qui raconte que sa fille lui a un jour demandĂ© si Sydney Cummings, qui distille ses conseils sportifs sur YouTube, viendrait manger chez elles. « MĂȘme si je ne lâai jamais rencontrĂ©e, elle mâapporte beaucoup de ce quâun·e vrai·e ami·e mâapporterait : des conseils, des histoires drĂŽles et lâinspiration nĂ©cessaire pour que je devienne une meilleure version de moi-mĂȘme », rĂ©flĂ©chit la mĂšre de famille.
When Grown-Ups Have Imaginary Friends, Jessica Grose, New York Times, 5 mai 2021
Un dernier pour la route
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Un indice sur lâidentitĂ© de lâautrice se glisse dans les lignes envoyĂ©es aujourdâhui.