đBest-of d'automne
Les rĂ©seaux sociaux s'embrouillent eux-mĂȘmes et peuvent pousser certains utilisateurs dans des trous noirs. Olia Lialina plonge dans le « cloud ». Internet compte toujours plus de liens morts.
Difficile de rĂ©unir des Ă©lĂ©ments pour des newsletters en ce moment, mais difficile Ă©galement de passer Ă cĂŽtĂ© de notre premier anniversaire (et du mien, qui tombe aujourdâhui). Le premier numĂ©ro a Ă©tĂ© envoyĂ© le 5 novembre 2020 et Ă©tait lâoccasion dâune conversation avec Virginie BĂ©jot, bidouilleuse Arduino (entre autres. Nous vous proposons donc un petit best-of, alimentĂ© par des liens glanĂ©s, des Ă©changes passĂ©sâŠ
RĂ©seaux sociaux
Nos discussions avec Caroline Sinders et Ben Grosser lâont montrĂ© : le rĂŽle des rĂ©seaux sociaux sur nos vies est parfois inquiĂ©tant ou mĂ©rite Ă tout le moins quâon sây intĂ©resse. « Ce nâest pas raisonnable quâune seule entreprise, nâappartenant quâĂ une seule personne, puisse gĂ©rer un algorithme qui contrĂŽle ce que trois milliards de personnes voient en ligne, sâinquiĂ©tait Ben Grosser lors de notre discussion. Beaucoup de gens nâont pas lâimpression quâils peuvent se dĂ©connecter dâun site comme Facebook. »
Ces jours-ci, de nombreux contenus ont Ă©tĂ© publiĂ©s sur le fonctionnement de Facebook, et sur lâimpact de ce rĂ©seau sur nos vies, qui ne vont pas dĂ©mentir lâartiste. Le Monde racontait ainsi, documents Ă lâappui, que lâalgorithme affichant les publications sur Facebook Ă©tait si complexe que les ingĂ©nieur·es de lâentreprise ne le comprenaient plus et nâen maĂźtrisaient pas les effets. « Les diffĂ©rentes parties des applications de Facebook interagissent les unes avec les autres de façon complexe » et il nây a pas de « vision systĂ©mique unifiĂ©e », rapporte ainsi Le Monde.
Facebook galĂšre aussi Ă limiter les effets pervers de ses algorithmes de recommandation, qui peut en pousser certain·es vers QAnon ou vers des contenus promouvant lâanorexie. Ce qui ne leur est dâailleurs pas spĂ©cifique⊠Il y a quelques jours, des chercheur·ses menĂ©es par Olivia Little et Abbie Richards, ont publiĂ© une Ă©tude rĂ©alisĂ©e sur TikTok. En prĂ©-sĂ©lectionnant quelques comptes transphobes et en nâinteragissant quâavec des vidĂ©os du mĂȘme acabit, elles ont rapidement Ă©tĂ© confrontĂ©s Ă des vidĂ©os suprĂ©macistes, antisĂ©mites, racistes, sexistes et homophobes.
TikTok, par ses petites boucles réconfortantes, les « algos ritournelles » évoquées par Laurence Allard, peut donc aussi guider doucement vers toujours plus de haine par un simple jeu de recommandations. Et les boucles vidéos, caractéristiques de la plateforme, peuvent également se révéler diaboliques.
« Ces vidĂ©os sont un exemple de comment les utilisateur·ices de TikTok utilisent la combinaison unique de son, de vidĂ©o et de texte pour crĂ©er du contenu haineux â et parfois violent. Alors que le texte en tant que tel ne contrevient pas aux rĂšgles dâutilisation de TikTok, remise dans leur contexte, ces vidĂ©os apparaissent Ă la fois haineuses et dangereuses. »
Elles citent Ă lâappui lâexemple dâune vidĂ©o Ă©voquant le haut taux de suicide parmi les personnes trans (une sur deux selon la vidĂ©o), qui ne prend son sens quâen Ă©coutant lâextrait musical utilisĂ©, qui dĂ©clare quâ« on nâen est quâĂ la moitiĂ© du chemin ». Une spĂ©cificitĂ© qui rend encore plus complexe la modĂ©ration, surtout automatisĂ©e. Lâoccasion de rĂ©Ă©couter le podcast consacrĂ© aux modĂ©rateur·ices, qui trient les dĂ©chets du web sans beaucoup de considĂ©ration, dont nous vous parlions le mois dernier.
CimetiĂšre
Lâautomne est la saison dâHalloween, de la Toussaint et de la fĂȘte des morts. Sur internet, les morts sont nombreux, parmi les utilisateur·ices, mais Ă©galement parmi les sites. Justifiant les travaux dâarchivage menĂ©s notamment Ă la BibliothĂšque nationale de France, Ă©voquĂ©s ici il y a quelques semaines, les liens morts sont toujours plus nombreux.
On sait ainsi que 56% des sites Ă©lectoraux liĂ©s Ă la campagne Ă©lectorale de 2012 ont disparu dans les cinq annĂ©es suivantes. LâintĂ©gralitĂ© des liens partagĂ©s dans le livre Free Stuff from the Internet, publiĂ© en 1994, sont inutilisables aujourdâhui. En Ă©tudiant les liens insĂ©rĂ©s dans les articles du New York Times, des chercheur·ses ont identifiĂ© que 72% des liens trouvĂ©s dans des articles en 1998 ne fonctionnaient plus. Le web pourrit et rien nâest fait.
« Peut-ĂȘtre aussi faut-il en faire le deuil ? », suggĂšre Sophie Gebeil, dans un long article de CTRLZ consacrĂ© Ă ces liens cassĂ©s. « Toutes ces traces en ligne sont des traces de notre histoire, de notre vĂ©cu Ă lâinstant T. Cela pose des questions sur ce quâil faut conserverâŠÂ » La chercheuse sâest spĂ©cialisĂ©e dans lâĂ©tude des archives du web, ainsi quâelle nous le racontait au printemps.
Plongée
Ă quoi ressemble une plongĂ©e dans le cloud ? Lâartiste Olia Lialina a pris lâexpĂ©rimentation au pied de la lettre, dans Hosted. CommandĂ©e par Arebyte Gallery, Ă Londres, lâĆuvre fait nager Olia elle-mĂȘme Ă travers 70 services dâhĂ©bergement dâimages ou hĂ©bergeant des images, en dĂ©composant une vidĂ©o en autant de photos.
En ouvrant toutes ces captures dans autant dâonglets et en navigant dâun onglet Ă lâautre, on peut ainsi voir lâartiste Ă©voluer dans une piscine. Ils nous plongent dans des urls aux formats peu lisibles, puisquâils ne sont souvent envisagĂ©s que pour « servir » les images sur dâautres sites.
LâĆuvre nous permet dâeffleurer le concret de ces hĂ©bergements dans les nuages, comme lâexpliquait Olia Lialina dans un texte prĂ©sentant son travail. Câest aussi lâoccasion, lĂ encore, de voir lâĂ©phĂ©mĂšre du net : un an Ă peine aprĂšs la crĂ©ation de lâĆuvre et sa mise en ligne, certaines images sont dĂ©jĂ innacessibles.
Ă lire
« La frontiĂšre du monde au jeu est fine, et pour la traverser, ne sont requis que quelques points par-ci, un chronomĂštre par-lĂ : du monde Ă©merge alors un drĂŽle de jeu, au level design anormalement ingĂ©nieux. » Câest ainsi que Guillaume Granjean raconte, dans le dernier numĂ©ro dâImmersion, une revue sur le jeu vidĂ©o, le jeu GeoGuessr.
Nous avions dĂ©jĂ Ă©voquĂ© le jeu reposant sur Google Street View dans un prĂ©cĂ©dent numĂ©ro de cette infolettre. Guillaume Granjean raconte ses amusements, Ă la recherche dâindices dans des paysages rĂ©els mais ressemblant furieusement Ă un jeu vidĂ©o. Il partage Ă©galement quelques Ă©changes entre lui et un ami, alors quâils jouent tous les deux, qui montrent aussi la poĂ©sie qui se crĂ©e de lâautre cĂŽtĂ© de lâĂ©cran :
- Ah oui, pas mal. Bon, je suis Ă 1305 kilomĂštres.
- (rires)
- Eh bien voilĂ . Tous les territoires quâil y a au nord dans lâespĂšce de truc rond⊠Je sais pas du tout ce quâil y a dans cette rĂ©gion du monde.
- Eh bien, il y a⊠Mourmansk : câest pas un port militaire, ça ?
- Si si, câest un grand port militaire, que je voyais pas du tout lĂ , mais qui est lĂ visiblement. Bon, eh bien⊠Suivante ?
- Allez
- Trois, deux, un, zéro.
- Câest parti.
Jâai rĂ©cemment discutĂ© avec une bibliothĂ©caire, un ripeur, un cuisinier de restauration scolaire et un responsable du tri, parmi dâautres, qui ont un point commun : ils et elles partagent sur TikTok leur vie professionnelle. Discussion face Ă la camĂ©ra, chorĂ©graphies, trends du rĂ©seau ou sensibilisation sont au menu de ces agent·esâŠ
En comparant ces crĂ©ations avec les posts bien plus institutionnels des collectivitĂ©s sur le rĂ©seau, on se rend compte du dĂ©calage, et de lâintĂ©rĂȘt de montrer son visage aux utilisateur·ices. « Nous sommes reconnues dans la rue », sâamuse ainsi Laury Zinsz, bibliothĂ©caire Ă Ăpinal, dans les Vosges. « Nous avons bien aimĂ© lâutiliser sur notre temps personnel, et nous voulions voir ce que ça pouvait donner pour le travail. »
Sur TikTok, des agents territoriaux sans filtre, Alexandre LĂ©chenet, La Gazette des communes, 25 octobre 2021
Un dernier pour la route
Combattus par les majors du cinĂ©ma et la Hadopi, les screeners se rĂ©vĂšlent, plusieurs annĂ©es plus tard, de passionnantes archives de lâaccueil dâun film dans une salle de cinĂ©ma.